Les mathématiques au service de la détection des cancers : histoire de la startup MoreHisto

Innovation

La startup MoreHisto est lauréate du concours i-Lab 2023 de Bpifrance pour son projet Prognosis, une innovation deeptech pour le secteur médical. Son objectif ? Automatiser et fiabiliser l’analyse d’images médicales, en accompagnant les médecins vers une décision clinique rapide, notamment en ce qui concerne le traitement du cancer. Gérard Besson, chercheur en mathématiques, fait partie de l’équipe de la startup. Il nous raconte son histoire.

Ce qui m’a intéressé au moment de rejoindre MoreHisto comme consultant, c’était la place importante de la Science dans l'activité de la société. Je n’aurais pas rejoint une autre entreprise pour vendre un produit quelconque.
Gérard Besson, Chercheur en mathématiques
L'équipe MoreHisto au complet avec (à gauche) Samy Sisaid, sous-préfet de l'Isère, à l'occasion de la réception du trophée I-Lab. Photographie de © Gérard Besson 2023

MoreHisto : une innovation deeptech pour le secteur médical

La startup MoreHisto est lauréate du concours d’innovation i-Lab 2023 de Bpifrance pour son projet Prognosis, qui mêle biologie, analyse d'images et mathématiques au service de la société. L’objectif de MoreHisto est d’automatiser et de fiabiliser l’analyse d’images médicales, en accompagnant les médecins vers un diagnostic et pronostic rapides, notamment dans le domaine du cancer.

Sur les tumeurs de patient(e)s atteint(e)s de cancer des prélèvements sont effectués, appelés biopsies. Ces biopsies sont ensuite analysées sous forme de coupes bidimensionnelles qui sont traitées en un processus long et minutieux qui permet de mettre en évidence, par l'adjonction d'anticorps et de colorants biochimiques, les cellules cancéreuses. Les images sont ensuite analysées par un(e) anatomopathologiste, qui va estimer la dangerosité de la tumeur. Il s'agit d'une analyse dite à l'œil. D' autres images peuvent également être produites sur le patient, par des méthodes différentes : scanner X, IRM ou PET qui sont analysées par les radiologues. L’équipe de MoreHisto intervient dans ce processus pour faire de la segmentation et de la quantification sur ces images. A l’aide de techniques d’intelligence artificielle, MoreHisto a développé un logiciel qui automatise cette partie analytique afin de soulager le travail des médecins.

Concrètement, et à titre d'exemple, cela consiste à analyser, à partir d'une biopsie, une image numérisée par microscopie. L'objectif est de compter, de manière automatique, les cellules tumorales marquées, colorées par un réactif biochimique et des anticorps (ces cellules sont mises en évidence par des biomarqueurs qui réagissent avec les protéines produites par la tumeur). Une attention particulière est aussi portée à la forme et à la taille de la cellule, à la morphologie des vaisseaux sanguins, aux infiltrats inflammatoires, etc. Une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), en présence d'anatomopathologiste, d'hématologue, d'oncologue, voire d'autres spécialistes a ensuite lieu pour décider, après analyse de tous ces éléments, de la stratégie la plus adaptée pour le patient.

De la géométrie Riemannienne à la startup MoreHisto

Derrière cette innovation deeptech, il y a des mathématiques portées par Gérard Besson. Chercheur en mathématiques, Gérard Besson a fait sa thèse de 3ème cycle en 1979 à l’université Paris 7 sous la direction de Marcel Berger et son habilitation à l'Institut Fourier (Université Grenoble Alpes – UMR 5582 du CNRS). Ainsi entré au CNRS en 1981, il est devenu directeur de recherches (CE) émérite en décembre 2023 après avoir été membre du conseil scientifique de l’Insmi entre 2019 et 2023. Spécialisé en géométrie Riemannienne, une thématique des mathématiques, son domaine de recherche porte, en grande partie, sur la relation entre conditions de courbure et topologie.

De 2013 à 2017, Gérard Besson a bénéficié d’une bourse du Conseil Européen de la Recherche (Advanced ERC grant). À l'Université Grenoble Alpes (UGA) il rencontre David Argenti, directeur adjoint du programme Fostering Science. David Argenti fonde la société MoreHisto, aux côtés d’Emmanuel Brun (spécialiste d'imagerie médicale) et de Raphaël Serduc (biologiste, spécialiste des tumeurs cérébrales), tous deux chercheurs à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale).  Gérard Besson rencontre les équipes et rejoint la startup après sa création en 2021, comme Président du conseil scientifique. Ce conseil comprend, outre David Argenti, Emmanuel Brun et Raphaël Serduc, Jean-Jacques Roux (Chef du service d'Anatomie et Cytologie pathologiques au Centre Hospitalier Métropole Savoie).

© MoreHisto 2024

Le projet d’innovation iLab Prognosis

Le concours iLab est un concours d’innovation organisée chaque année par Bpifrance pour toute personne ayant créé son entreprise depuis moins de deux ans ou ayant pour projet la création, sur le territoire français, d’une entreprise de technologies innovantes. Les personnes lauréates reçoivent un soutien financier, d’un montant maximal d’un million d’euros, ainsi qu’un accompagnement adapté.

MoreHisto fait partie des 79 lauréats nationaux avec son projet Prognosis, un projet multimodal et parcimonieux récompensé dans la catégorie Numérique, Technologies logicielles, & Communication. Le projet Prognosis se focalise sur le diagnostic du cancer du système nerveux central, un cancer particulièrement virulent car il est la 2ème cause de mortalité chez l’enfant, avec un taux de survie à 5 ans inférieur à 20 %. Les deux chercheurs Inserm de MoreHisto sont très familiers avec les techniques d'irradiation, d'imagerie et la biologie de cette pathologie.

Gagner ce concours i-Lab a permis à l’équipe de MoreHisto de bénéficier de financements importants, et donc de pouvoir recruter des ingénieurs qualifiés. Ce premier prix permet aussi de valoriser la startup et de lui faire gagner en visibilité, améliorant ainsi son image de marque auprès du grand public. Gérard Besson prépare actuellement un autre appel d’offre de l’INSERM intitulé Mic, « Apports à l'oncologie des mathématiques et de l'informatique », qui sera géré à l’Institut Fourier, en cas de succès.

Moi, ce qui m’intéresse, c’est la géométrie du problème
Gérard Besson

La place des mathématiques dans cette innovation

Selon Gérard Besson, il existe ce que l’on appelle une « géométrie des données ». En 1994, il rédige l'article1 , avec Pierre Bérard et Sylvestre Gallot. Cet article de géométrie très abstrait est passé inaperçu pendant plusieurs années, avant d’être redécouvert dans les années 2000, et jusqu’à être maintenant régulièrement cité, en particulier en mathématiques appliquées. Ce travail a été un déclencheur.

  • 1P. Bérard, G. Besson, S. Gallot, Embedding Riemannian manifolds by their heat kernel. Geom. Funct. Anal. 4, No 4. 373-398 (1994)
Je n'aime pas la séparation entre mathématiques dites fondamentales et mathématiques dites appliquées. J’ai toujours pensé que des mathématiques très abstraites pouvaient aussi être directement appliquées à des cas concrets.
Gérard Besson

Aujourd’hui, l’équipe de MoreHisto travaille à combiner plusieurs modalités d'imagerie (biopsies, radio, scanners…) pour en dégager un pronostic, c’est-à-dire, par exemple, estimer la dangerosité d’une tumeur (le grade, comme disent les spécialistes) et de proposer une aide au choix de traitements. Mais les images diffèrent beaucoup d'une modalité à l'autre, et même à l'intérieur d'une même modalité. Elles contiennent en outre énormément de données : chaque image peut contenir des dizaines de milliards de pixels et leur analyse est d’une grande complexité. Or, selon Gérard Besson, chaque pixel (ou voxel, pour la 3D) est avant tout… une collection de nombres. Et c’est ici que les mathématiques interviennent, dans la construction d'algorithmes capables de reconnaître, dans cette suite de nombres, les caractéristiques pertinentes pour les médecins.

En biologie, quand on regarde quelles sont les mathématiques qui interviennent naturellement, il y a beaucoup de statistiques, d'équations différentielles et d'équations aux dérivées partielles très sophistiquées. Mais là, il s’agit de géométrie, ce qui est une spécificité assez innovante de notre projet.
Gérard Besson

Gérard Besson intervient précisément au niveau de l’algorithme de traitement des données. Il a une idée d’approche, qui conduit à changer son architecture. Il observe d’ailleurs que, depuis quelque temps, les méthodes géométriques ont été beaucoup sollicitées pour l'analyse des données massives.

Futur de MoreHisto : allier multimodalité….

La multimodalité occupe une place centrale dans le projet et l'activité de la startup : histologie, radiologie et données patients permettent d’obtenir des indications cruciales pour un pronostic lorsqu’elles sont croisées. A l’occasion de ce projet, Gérard Besson a découvert la complexité de la biologie et de la biochimie cellulaires. Il a étudié plusieurs livres de biologie, The cellular biology by the numbers notamment, qui lui a été conseillé par Magnus Fontes, mathématicien et directeur de l'Institut Roche.

J’en avais jusqu’alors une vision extrêmement naïve. C’est en fait d’une complexité inimaginable, à côté de ça un problème de maths c’est beaucoup plus simple. Ça ne veut pas dire qu’on peut le résoudre, mais les objets sont beaucoup plus faciles à appréhender, tandis qu’une cellule c’est un monstre de complexité. C’est malgré tout très excitant et rafraîchissant de découvrir une nouvelle discipline.
Gérard Besson

…et sobriété numérique.

L’objectif de l'algorithme MoreHisto est double : obtenir une grande précision en sortie et programmer un algorithme parcimonieux, qui utilise beaucoup moins de données, beaucoup moins de ressources. C’est un objectif de sobriété numérique, qui rejoint un enjeu de sécurité des données médicales. Car ces dernières ne peuvent pas être stockées dans des data centers, encore moins dans le cloud. Il n’est pas non plus envisageable que chaque hôpital se construise un centre de données protégé. Selon Gérard Besson, il faudrait idéalement viser de travailler sur un simple serveur.

La sobriété numérique vient en outre pallier le manque de documentation dans certaines pathologies. Si certaines sont très bien documentées (cancer du sein, de la prostate, du poumon), d’autres le sont moins (cancer du pancréas, de la vessie). Il existe donc moins de données pour ces dernières ce qui rend le diagnostic plus difficile. L’algorithme que Gérard Besson essaie de construire, avec l'équipe de MoreHisto, devrait nécessiter beaucoup moins de données pour son entraînement.

Vers une ouverture européenne et internationale

MoreHisto a pour objectif un marquage européen, l’équivalent d’un dispositif médical. Ce label permettrait d’être accepté dans les hôpitaux comme un outil d’aide au diagnostic et/ou pronostic. En parallèle, la startup réfléchit à postuler à moyen terme à la version américaine de ce marquage (FDA clearance), qui est valable aux Etats-Unis et dans d’autres pays. Obtenir ce label nécessite de reproduire des tests sur des patient(e)s américain(e)s. Cela requiert plus de financements, car il faut être accompagné par des prestataires locaux spécialisés.

La production d'articles de recherche donnera une visibilité importante au projet de même que le dépôt de brevets qui est à même de faciliter les levées de fonds. L'activité de MoreHisto préservera ainsi l’équilibre entre l’éthique de la recherche et les contraintes industrielles.

Rendez-vous dans quelques mois ?

Parmi les autres projets sur lesquels se penche MoreHisto, il y a l'étude de cellules tumorales cultivées (appelées tumoroïdes). Des cultures de toutes sortes sont développées, en particulier diverses tumeurs cancéreuses, ce qui permet de travailler sur des images sans avoir à prélever des patient(e)s.

Pour l’instant, MoreHisto vend sa solution aux laboratoires de recherche et développement. Maintenant, l’équipe se prépare à produire un logiciel adapté aux contraintes hospitalières, en particulier en ce qui concerne la sécurité des données, qui est bien plus stricte qu’en laboratoire universitaire : rendez-vous dans quelques mois pour suivre l’évolution du projet.

L’obstacle à surmonter pour les chercheuses et chercheurs en mathématiques, c’est un obstacle psychologique. Il ne faut pas croire que parce que l’on fait des maths très théoriques, on n'est pas capables d’intervenir car ce n’est pas du tout le cas. On sait depuis longtemps qu’il y a un dialogue naturel avec les physiciennes et physiciens, mais il faut se rendre compte qu’il y a aussi un dialogue naturel avec les informaticiennes et informaticiens qui nécessite des connaissances mathématiques assez abstraites. J’espère également développer ce dialogue avec les biologistes, même si le chemin sera long.
Gérard Besson

La 26ème édition du concours d’innovation i-Lab est déjà lancée

Le concours d'innovation i-PhD et i-Lab 2024 pour l'entrepreneuriat deeptech est ouvert dès maintenant et jusqu’au 29 mars 2024 à 23h59. Plus d’information sur https://www.picxel.bpifrance.fr/accueil.