Maths, entreprises & société : portrait de Margaux Zaffran
Le prix de thèse maths entreprises & société a été créé en 2013 par l'Amies pour promouvoir les thèses de mathématiques réalisées en partie en collaboration avec un partenaire socio-économique et ayant des retombées directes pour celui-ci.
Parrainé par les sociétés savantes Société Française de Statistique (SFDS), la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI) et la Société Mathématique de France (SMF), le prix de thèse 2025 a été remis lors de la 14ème édition du Forum Entreprises & Mathématiques, mardi 7 octobre 2025.

- Titre de la thèse : Quantification post-hoc de l'incertitude prédictive : méthodes avec applications à la prévision des prix de l'électricité
- Université de délivrance : Institut Polytechnique de Paris
- Directrice & directeur de thèse : Aymeric Dieuleveut, CMAP, École polytechnique et Julie Josse, Inria (équipe PreMeDICaL)
- Encadrants industriels : Olivier Féron et Yannig Goude
- Entreprise : EDF R&D
Actuellement : Postdoctorante au Laboratoire de Mathématiques d’Orsay
Qu’est-ce qui vous a motivée à faire une thèse en lien avec le monde socio-économique ?
J’avais beaucoup apprécié l’aspect théorique de mon cursus académique, et je souhaitais continuer à creuser en faisant une thèse. Pour autant, mes expériences de stage passées m’avaient montré que c’était primordial pour moi de savoir, au quotidien, que ma recherche serait motivée par des applications concrètes dans le monde socio-économique. C’est la raison qui m’a poussée à considérer une thèse CIFRE. Par ailleurs, ça me tenait également à cœur de travailler avec une entreprise dont je partageais les valeurs et les objectifs. Faire une thèse avec EDF était donc un équilibre parfait pour moi !
Pouvez-vous nous parler de votre sujet de thèse ?
Mes travaux de thèse sont motivés par le besoin de prévisions précises des prix de marché de l’électricité - le prix d’échange entre les producteurs et les fournisseurs - ainsi que de prévisions probabilistes de ces prix. Par opposition à une prévision ponctuelle (i.e. le prix demain sera de 45€/ MWh), une prévision probabiliste cherche à capturer l’incertitude de la quantité à prévoir (par exemple, il y a 90% de chance que le prix demain soit compris entre 40 et 50€/MWh). Pouvoir prévoir ces prix précisément et de manière robuste (i.e. prévision probabiliste) permettrait de stabiliser la planification de la production d'énergie, et réduirait donc les émissions de carbone associées.
Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés lors de votre recherche ?
Si je ne devais en citer qu’un, je pense que je retiendrais les compétences nécessaires à collaborer simultanément avec de nombreuses personnes ayant des langages différents. En effet, pendant ma thèse, j’ai dû faire le pont entre les 4 personnes qui me supervisaient. Au centre de cette belle équipe de 5, j’étais in fine responsable de synthétiser et concilier les intérêts scientifiques de chacune et chacun, parfois plus théoriques, plus méthodologiques, plus appliqués, et toujours dans un langage différent reflétant leurs divers profils de recherche, bien qu’en surface il s’agissait constamment de français mathématique. Ce défi m’a montré à quel point les collaborations, en particulier recherche - industrie mais pas uniquement, demandent une compétence qui leurs est spécifique, quelque part ressemblant à du multilinguisme équipé de “traduction” scientifique en temps réel. Je pense que c’est une compétence à consolider sur bien plus de temps que les 3 ans dont j’ai bénéficié pendant ma thèse, et je suis ravie d’avoir pu commencer à en construire des bases !
De quelle manière votre travail a t-il bénéficié aujourd’hui ou bénéficiera dans le futur au monde socio-économique ?
L’application pratique principale de mes recherches est la prévision des prix de marché de l’électricité. Toutefois, les méthodes que je développe ne sont pas spécifiques à cette application, et grâce à leur polyvalence elles ont été implémentées dans la plateforme de test de la R&D d’EDF où elles servent à quantifier l’incertitude en temps réels de nombreux de leurs modèles, comme ceux prévoyant la consommation d’électricité par exemple. Plus généralement, ces méthodes sont également nécessaires dans toute application sensible (comme le diagnostic médical ou la modélisation climatique) où la quantification de l'incertitude du modèle est indispensable pour éviter l'utilisation d'un modèle corrompu. Ainsi, en plus de sa pertinence pour le domaine de la gestion de l'énergie, l'analyse de ces procédures serait bénéfique pour un plus large éventail d'applications du monde réel. Par exemple, nos derniers travaux ont été expérimentés, en collaboration avec la Traumabase, pour prévoir (avec confiance donc !) si une patiente ou un patient traumatique, pris en charge dans une ambulance, va être victime d’un choc hémorragique une fois transféré à l’hôpital.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes souhaitant orienter leurs recherches en mathématiques vers des applications concrètes ?
D’abord de ne jamais douter du fait qu’il y a des mathématiques dans (quasiment ?) toutes les applications concrètes que l’on peut imaginer. Et c’est ce qui en fait la beauté : avec une formation en mathématiques, on peut ensuite orienter nos recherches vers (presque) n’importe quelle application concrète et ainsi travailler sur des questions pratiques qui nous motivent personnellement, chacune et chacun ayant sa fibre intime. Et ensuite d’être bien à l’écoute de l’équilibre entre théorie et application qui nous épanouit : il varie avec les personnes bien sûr, mais également avec la période et le contexte personnel dans lequel on se trouve. Ce qui est génial c’est qu’on peut l’ajuster régulièrement. Mais pour cela il faut être bien entourée ou entouré, donc mon dernier conseil (qui vaut en général d’ailleurs !) est de choisir avec précaution les entreprises, tout comme les personnes, avec qui collaborer.
Comment voyez-vous le rôle des mathématiques dans la résolution de problématiques sociétales actuelles ?
La perception des mathématiques, qui incluent le raisonnement logique, par la société a une influence très importante sur la société elle-même. C’est quelque chose qui m’a toujours frappée, et qui prend un sens et une ampleur tristement différents aujourd’hui. C’est en cours de mathématiques de niveau disons collège que, traditionnellement, l’on construit la capacité de raisonnement logique des citoyennes et citoyens. Et cela a un impact direct sur l’évolution et les décisions que nous prenons en tant que communauté. Je trouve que ce lien entre mathématiques et “raisonner au quotidien,dans une société, dans mes relations, dans mon rapport au monde” est rarement mis en avant, ce qui est très dommage car cela toucherait peut-être d’avantage les élèves et pourrait permettre de démystifier “l’utilité du théorème de Pythagore dans la vie de tous les jours”, en plus de participer activement à la formation à l’esprit critique et raisonné des futures générations.
Quels sont vos projets pour la suite ?
Lors de ma thèse CIFRE, j’ai pris conscience que je me projetais plus en tant que chercheuse académique collaborant avec le monde socio-économique, plutôt que l’inverse. C’est l’une des forces de la thèse CIFRE : cela m’a permis de comparer, même un tout petit peu, les deux quotidiens (avec la réserve que les quotidiens que j’ai observés correspondent à des équipes spécifiques bien entendu) et de déterminer ce qui, purement personnellement, me parlait le plus. J’ai donc continué dans le milieu académique en tant que post-doctorante. J’espère un jour pouvoir devenir chercheuse, ou enseignante-chercheuse, et développer un projet de recherche qui interagisse fortement avec le monde socio-économique !