La conjecture de McKay : caractères des groupes finis après la Classification
Formulée au début des années 70, la conjecture de John McKay postule que pour un groupe fini donné G et un nombre premier p, le nombre de représentations linéaires irréductibles de G en dimensions non divisibles par p est le même que pour un sous-groupe p-local de G. La conjecture est ramenée en 2007 à une conjecture sur les représentations (linéaires et projectives) de groupes finis simples et leurs sous-groupes p-locaux. Les derniers types de groupes simples viennent d'être vérifiés par Marc Cabanes, chargé de recherche CNRS à l'Institut de Mathématiques de Jussieu-Paris Rive Gauche1 et Britta Späth, mathématicienne à l'Université de Wuppertal en Allemagne.
- 1CNRS/Sorbonne Université/Université Paris Cité
La théorie des représentations consiste en l'étude de diverses structures - anneaux non commutatifs, algèbres de Lie, groupes - à travers leurs interactions avec des espaces vectoriels. Cela commence le plus souvent avec la donnée d'un morphisme
A → End(V)
pour un anneau A et un espace vectoriel V, ou
G → Aut(V)
pour un groupe G.
Sous l'influence du programme de Langlands, le champ d'application de la théorie des représentations s'est considérablement accru ces dernières décennies, envahissant des domaines aussi divers que la géométrie algèbrique ou la théorie des nombres, tandis que l'algèbre homologique, renforcée par les apports de Grothendieck, fournit un catalogue toujours plus vaste d'espaces de représentations V.
La conjecture de McKay (1971) est probablement l'énoncé le plus simple de la théorie des représentations. Si G est une groupe fini on note k(G) le nombre de ses représentations linéaires irréductibles à isomorphisme près (aussi appelés caractères du groupe fini G). C'est également son nombre de classes de conjugaison. Si p est un nombre premier, on note k'p(G) le nombre de ces représentations en dimensions non divisibles par p. La conjecture de McKay postule que
k'p(G)=k'p(N)
où N est un sous-groupe p-local de G, à savoir le normalisateur d'un p-sous-groupe maximal.
Cette conjecture a eu une grande influence sur la théorie des représentations des groupes finis, à une époque où se terminait aussi la Classification des groupes finis simples (CFSG). Les groupes finis simples sont les briques élémentaires à partir desquelles on obtient tous les groupes finis, un peu comme, en chimie, les molécules sont décrites à partir des éléments de la table de Mendeleïev.
La conjecture, on dira maintenant l'égalité, de McKay a d'abord été vérifiée pour beaucoup de groupes finis, simples ou non. Pour la plupart des groupes simples elle découle d'une variante de la théorie de Harish Chandra -- induction parabolique des représentations cuspidales -- pour les groupes finis (Broué-Malle-Michel 1993).
Ensuite une étape décisive est franchie en 2007, lorsque Isaacs-Malle-Navarro montrent qu'une conjecture plus forte mais appliquée aux seuls groupes simples et leurs sous-groupes p-locaux impliquerait l'égalité de McKay pour tous les groupes finis.
Cela lance la dernière étape (2007-2025) où cette conjecture plus forte est vérifiée pour les groupes simples. Elle donne lieu à une série de 15 articles par B. Späth (Wuppertal, Allemagne), certains en collaboration avec M. Cabanes (IMJ), totalisant quelque 500 pages. Le problème relève essentiellement de la théorie de Lie algébrique, les seuls groupes simples problématiques étant les groupes de Lie finis - 200 pages concernent le seul type D (groupes spin sur des corps finis).
Les difficultés concernent aussi bien les représentations du groupe G que de son sous-groupe N≤G. Dans le cas de G, il faut par exemple résoudre la question des actions de Aut(G) sur les caractères de G pour les groupes de Lie finis simples, une question laissée en suspens depuis la Classification et dont la réponse [S25] est riche de futures applications de la CFSG à la théorie des représentations. Pour les sous-groupes N, il est souvent possible de se ramener à des questions de pure théorie des groupes pour des sous-groupes maximaux M de G attachés à certains tores de groupes de Lie en caractéristique ≠ p.
La dernière étape est due à Cabanes et Späth [CS25]. Elle consiste en une longue analyse des représentations de ces sous-groupes M≤G où G est de type D.
Références :
[S25] Britta Späth, (2023). "Extensions of characters in type D and the inductive McKay condition, II". 66 pages, Inventiones Mathematicae (2025, à paraître). ArXiv:2304.07373.
[CS25] Marc Cabanes et Britta Späth, (2024). "The McKay Conjecture on character degrees". 68 pages, Annals of Mathematics (2025, à paraître). ArXiv:2410.20392.