Approximation d’un nombre réel par des nombres algébriques de degré borné et la conjecture de Wirsing
Article écrit par Anthony Poëls, maître de conférence à l'Institut Camille Jordan1 , publié dans Annals of Mathematics.
- 1CNRS/Ecole Centrale de Lyon/INSA Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1 /Université Jean Monnet
Étant donné un nombre réel ξ, une question fondamentale en approximation diophantienne consiste à savoir comment ce dernier peut être bien approché par des nombres rationnels. Il n’est pas difficile de prouver que si ξ est irrationnel, alors
Rappelons qu’un nombre complexe α est dit algébrique s’il est racine d’un polynôme non nul à coefficients entiers. En remarquant que les nombres rationnels sont précisément les nombres algébriques de degré 1, la question précédente se généralise naturellement de la manière suivante. Fixons un entier n ≥ 1 : comment peut-on bien approcher ξ par des nombres algébriques α de degré au plus n ? Pour mesurer la complexité de α, on considère sa hauteur naïve H(α), définie comme le maximum des valeurs absolues des coefficients de son polynôme minimal (irréductible sur $\mathbb{Z}$). À titre d’exemple, lorsque α est un nombre rationnel p/q, avec p et q premiers entre eux, son polynôme minimal est, au signe près, Pα = qX − p. On a ainsi H(α) = max{|p|,|q|}. Dans son article fondateur datant de 1961, [10] Wirsing formule le célèbre problème suivant, qui est une généralisation d’une version affaiblie de (1).
Problème de Wirsing. Supposons le nombre réel ξ transcendant. Étant donné ε > 0 arbitrairement petit, a-t-on

Présentement, et malgré de nombreux efforts au cours des dernières décennies, cela n’a pu être confirmé que pour n = 1 (c’est une conséquence immédiate de (1)) et pour n = 2 (cela a été prouvé par Davenport et Schmidt [3] en 1967). Dans son papier de 1961, Wirsing montre qu’il existe une infinité de nombres algébriques α de degré au plus n tel que |ξ −α| ≤ H(α)−ω−1+ε avec ω = (n + 1)/2. Pendant une soixantaine d’années il y a eu peu de progrès sur cette question, dans le sens où les meilleurs résultats – que l’on doit à Bernik et Tishchenko [2, 8, 9] – permettaient seulement de remplacer l’exposant (n+1)/2 de Wirsing par un exposant de la forme n/2+3−o(1) lorsque n tend vers l’infini. En 2021, Badziahin et Schleischitz ont réalisé une première percée [1] en montrant qu’on peut prendre
à partir de n = 4. Dans [4] nous obtenons le résultat suivant.
Théorème 1. Soient n un entier au moins égal à deux et ξ un nombre réel transcendant. Pour tout nombre réel ε > 0, il existe une infinité de nombres algébriques α, de degré au plus n, tels que
La preuve repose en partie sur la géométrie paramétrique des nombres, un outil puissant fondé par Schmidt et Summerer [6, 7] et développé par Roy [5].
Référence :
[1] D. Badziahin et J. Schleischitz : An improved bound in Wirsing’s problem. Trans. Amer. Math. Soc., 374(3):1847–1861, 2021.
[2] V. I. Bernik et K. Tishchenko : Integral polynomials with an overfall of the coefficient values and Wirsing’s theorem. In Dokl. Akad. Nauk Belarusi, vol. 37, p. 9–11, 1993.
[3] H. Davenport et W. Schmidt : Approximation to real numbers by quadratic irrationals. Acta Arith., 13(2):169– 176, 1967.
[4] A. Poëls : On approximation to a real number by algebraic numbers of bounded degree. Ann. of Math., 201(1):307–330, 2025.
[5] D. Roy : On Schmidt and Summerer parametric geometry of numbers. Ann. of Math., 182:739–786, 2015.
[6] W. M. Schmidt et L. Summerer : Parametric geometry of numbers and applications. Acta Arith., 140:67–91, 2009.
[7] W. M. Schmidt et L. Summerer : Diophantine approximation and parametric geometry of numbers. Monatsh. Math., 169:51–104, 2013.
[8] K. Tishchenko : On approximation to real numbers by algebraic numbers. Acta Arith., 94(1):1–24, 2000.
[9] K. Tsishchanka : On approximation of real numbers by algebraic numbers of bounded degree. J. Number Theory, 123(2):290–314, 2007.
[10] E. Wirsing : Approximation mit algebraischen Zahlen beschränkten Grades. J. reine angew. Math., 206:67–77, 1961.