Interview d'Alexandre Afgoustidis

Portraits

Interview d'Alexandre Afgoustidis, recruté chargé de recherches au CNRS en octobre 2020, membre de l'institut Elie Cartan de Lorraine (IECL).

Quel est ton domaine de recherche ?

C’est l’étude des représentations des groupes de Lie et des groupes réductifs. Malgré son intitulé algébrique, ce sujet fait intervenir beaucoup d’analyse. Les représentations irréductibles d’un groupe comme $\mathrm{SL}(n, \mathbb{R})$ se font presque toutes sur des espaces de dimension infinie, typiquement des espaces fonctionnels. Pour les étudier, il faut donc mêler la structure algébrique et géométrique de $\mathrm{SL}(n, \mathbb{R})$ avec de l’analyse fonctionnelle, de la théorie spectrale… Ainsi, le sujet a été assez analytique de 1945 à 1980. Ensuite, des méthodes d’algèbre homologique et de géométrie algébrique l’ont en partie renouvelé. Aujourd’hui, tous ces aspects, dont je ne maîtrise bien sûr qu’une petite partie, contribuent à sa richesse.

Le domaine a connu des périodes d’interaction avec les applications. Par exemple, ses débuts vers 1945 se sont faits en lien avec la mécanique quantique. Depuis les années 1970, une source extraordinaire de développements est le lien avec la théorie des nombres, grâce aux idées de Langlands. Elles imposent notamment de mêler l’étude des représentations de groupes réels, comme $\mathrm{SL}(n, \mathbb{R})$, avec celle de groupes p-adiques, comme $\mathrm{SL}(n, \mathbb{Q}_p)$ pour $p$ premier. 

Pour ma part, c’est à partir de questions de neurosciences que je suis venu à ce sujet. Au début de ma thèse, j’essayais d’utiliser les groupes de Lie pour éclairer et généraliser certains modèles sur le  cortex visuel primaire. En chemin, j’ai rencontré des questions internes à la théorie, qui m’ont fasciné et sont devenues mon principal sujet de recherche.

Qu’as-tu fait avant d’entrer au CNRS ?

J’ai fait ma thèse à Paris-7 avec Daniel Bennequin, de 2012 à 2016, passant progressivement de questions de neurosciences à ce que je décrivais ci-dessus.

Pendant ma thèse, en 2015, j’ai été recruté à l’université Paris-Dauphine sur un poste de PRAG. J’y ai enseigné cinq ans et j’étais responsable du L1 pour le département Maths-Info. J’ai poursuivi parallèlement mes recherches (grâce notamment aux encouragements de mes collègues du CEREMADE, pour qui j’éprouve beaucoup de reconnaissance), jusqu’à mon entrée au CNRS.

Pourrais-tu nous parler de mathématiciennes ou de mathématiciens qui t’ont marqué, influencé, ou que tu admires particulièrement ?

J’aurai du mal à être bref : il y en a dont les résultats ont nourri mon travail, d’autres dont le regard sur les mathématiques m’a marqué, d’autres enfin avec qui l’interaction directe a été déterminante pour mon parcours. L’intersection est évidemment non vide. Tous ces aspects ont beaucoup compté pour moi.

Parlons d’abord de lectures. Avant de commencer mon doctorat, c’est la géométrie qui m’attirait : j’ai été enthousiasmé par mes lectures de Poincaré, d’Arnold, et de Thom. Plus tard, au début de ma thèse, j’ai été impressionné par ce que j’ai lu d’Hermann Weyl et d’André Weil. Ces lectures ont un point commun : de ces cinq auteurs, j’ai admiré les résultats de mathématiques, mais aussi les écrits sur les mathématiques. Les regards très différents qu’ils portaient sur notre discipline m’ont beaucoup apporté. Je dois aussi mentionner ceux qui ont fait de mon domaine de recherche ce à quoi il ressemble aujourd’hui, en particulier G.W. Mackey, Harish-Chandra, Langlands, Vogan. Leurs idées extraordinaires sont à la base de ce que je fais aujourd’hui.

Évoquons maintenant quelques rencontres. Celle d’Alain Chenciner, en Licence : je ne sais pas si je serais devenu mathématicien sans nos conversations (et celles qui ont suivi avec Jacques Féjoz et Marc Chaperon).  Celle de Daniel Bennequin, avec qui j’ai fait ma thèse : ces quatre années sont naturellement mon expérience scientifique la plus marquante à ce stade, et son tempérament a contribué à ce qu’elles soient aussi très heureuses.

Pouvoir discuter de façon précise avec quelqu’un dont on a étudié et admiré les travaux est une chance : pendant ma thèse, les échanges que j’ai eus avec Michèle Vergne, Michel Duflo, Nigel Higson, David Vogan, m’ont beaucoup apporté. Enfin, plus récemment, ma collaboration avec Anne-Marie Aubert a été très enrichissante, et l’est encore.

Qu’est-ce qui t’a amené à faire des mathématiques ?

Je n’ai pas voulu très tôt être mathématicien. Au lycée, puis en classes préparatoires, j’aimais les mathématiques, mais pas avec autant d’ardeur que mes camarades les plus enthousiastes. Le côté « sportif » de la résolution rapide de problèmes me convenait peut-être moins.

J’ai fait un bref détour par la physique et ce fut très instructif. Quand j’ai compris que certaines idées qui me semblaient mystérieuses (l’hypothèse ergodique, la quantification…) avaient suscité des domaines entiers des mathématiques actuelles, ma perception des mathématiques a complètement changé. Ensuite, l’accumulation de connaissances aidant, il devenait naturel de voir les liens entre différents sujets, de rattacher ce que j’étudiais à une longue histoire et aux autres domaines de la connaissance. J’aimais particulièrement approfondir tous ces liens et cela m’a attaché au travail mathématique.

Bien sûr, il y a aussi les rencontres que j’évoquais ci-dessus, les encouragements que j’ai reçus... mais sur ce point mon histoire ressemble à beaucoup d’autres.

Qu’attends-tu du métier de mathématicien ?

Depuis dix ans, je découvre tous les quelques mois des idées magnifiques dans le travail des autres mathématiciennes et mathématiciens. J’espère que cette joie-là me restera longtemps. Si j’arrive à ce que mes horizons mathématiques ne soient pas trop rétrécis par la concentration nécessaire à mes propres recherches, ou à me rendre utile à la communauté scientifique au-delà de la production de résultats nouveaux, c’est encore mieux.

Pourquoi le CNRS ?

Pour faire des mathématiques dans de bonnes conditions, il me semble crucial d’avoir du temps pour réfléchir, et peut-être aussi la liberté d’esprit qui permet de ne pas travailler à trop court terme. Le CNRS permet tout cela de façon idéale.

Alexandre Afgoustidis
© IECL

 

Contact

Alexandre Afgoustidis est chargé de recherche au CNRS, membre de l'institut Elie Cartan de Lorraine (IECL - CNRS & Université de Lorraine).