Interview d'Anthony Genevois

Portraits

Interview d'Anthony Genevois, nouvellement recruté chargé de recherches au CNRS.

Quel est ton domaine de recherche ?

Mon domaine de prédilection est la théorie géométrique des groupes. Un groupe est un ensemble muni d'une loi de composition (un "produit") qui vérifie certains axiomes. Il s'agit d'une structure algébrique abstraite très générale qui s'est avérée très utile dans de nombreux domaines des mathématiques au fil des décennies. Aujourd'hui, l'étude des groupes est un sujet d'étude à part entière, très riche et très actif. Bien que la définition d'un groupe en elle-même puisse paraître aride, il s'est petit à petit dégagé de divers travaux en géométrie et topologie qu'un groupe peut être étudié grâce à des méthodes géométriques. 
Pour cela, étant donné un groupe, une première idée est de le décrire comme un ensemble de symétries d'un espace muni d'une géométrie "riche", adaptée au problème qui nous intéresse sur le moment. Dès lors, une connexion va exister entre les propriétés algébriques du groupe et les propriétés géométriques de l'espace ; et l'objectif sera de transférer un problème algébrique portant sur le groupe en un problème géométrique portant sur l'espace, où de nouveaux outils seront à notre disposition. Une seconde idée, plus radicale, est de considérer le groupe lui-même comme un objet géométrique. Ici, il est question de géométrie discrète, de géométrie sur un graphe. De manière tout à fait surprenante, il se trouve qu'il est possible d'extraire la substantifique moëlle d'un certain nombre de concepts venant de la géométrie lisse, disons riemannienne, puis de l'adapter au contexte discret des graphes. Dans une certaine mesure, c'est le cas de la courbure, si bien qu'avoir une courbure négative stricte fait sens pour un groupe. Ce point de vue a mené à des développements tout à fait spectaculaires.
Mon travail se place en ligne directe de ces idées : je place un groupe sous mon microscope, et je lui cherche un modèle géométrique adaptée pour en déduire de l'information algébrique. Souvent, les modèles géométriques qui m'intéressent ont une structure combinatoire riche. Typiquement, ce sont des complexes cellulaires, c'est-à-dire des espaces obtenus en recollant entre eux des polytopes, comme par exemple des polygones, des cubes (de diverses dimensions), des polyèdres, etc. 
 
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Exemple de complexe cubique contenant des configurations d’hyperplans dites « pathologiques » : auto-intersection, auto-tangence, inter-tangence. Ce sont ces configurations qui sont interdites dans la théorie des complexes cubiques spéciaux développée par F. Haglund et D. Wise. © Anthony Genevois.

 

Qu’as-tu fait avant d’entrer au CNRS ?

Avant d'entrer au CNRS, j'ai été post-doctorant pendant deux ans au Laboratoire Mathématique d'Orsay, financé par la fondation Jacques Hadamard. Et encore avant cela, j'étais doctorant à l'Institut de Mathématiques de Marseille, encadré par Peter Haïssinsky.
 
Pourrais-tu nous parler de mathématiciens ou de mathématiciennes qui t’ont marqué, influencé, ou que tu admires tout particulièrement (personnages historiques ou contemporains) ?
 
Je ne me rappelle pas avoir été marqué par un mathématicien en particulier. Mais par des idées mathématiques, très certainement ! L'un des épisodes qui m'a le plus marqué a été ma rencontre avec la théorie des groupes hyperboliques, très largement popularisée par Misha Gromov. En troisième année, je suis tombé par hasard sur la page personnelle de Yann Ollivier, décrivant comment les groupes (de type fini) peuvent être pensés comme des objets géométriques et comment certaines de ces géométries sont naturellement "courbées négativement". J'ai immédiatement été subjugué. Ces groupes, que je n'avais alors rencontrés que comme des objets algébriques plutôt arides, se retrouvaient soudainement avoir une forme, un aspect visuel fascinant. Et quelle géométrie ! Alors que je n'avais rien conçu de plus évolué que la (pas si bête) géométrie euclidienne, voilà qu'il était question de faire de la géométrie discrète sur des graphes, un point de vue à la fois extraordinairement élémentaire et redoutablement efficace. En somme, j'ai pris une vraie claque. Par la suite, je n'ai pas perdu une occasion de travailler sur des thématiques proches : groupes de lecture, mémoire de licence, TER, mémoire de M2, et, finalement, thèse. Aujourd'hui, je n'ai toujours pas décroché, et je m'émerveille des étendues sauvages qu'il me reste encore à explorer avant même de pouvoir décemment affirmer comprendre quelque chose à la géométrie des groupes.
 
Qu'est-ce qui t’a amené à faire des mathématiques ?
 
Le goût pour les mathématiques m'est venu finalement assez tard. Pendant le collège et le lycée, j'ai beaucoup étudié la physique en autodidacte. Cet apprentissage incluait nécessairement des mathématiques, mais, même si cela me plaisait, elles ne servaient alors que comme outils. Les choses ont commencé à changer quand je suis entré dans le supérieur, où l'enseignement de la physique ne m'a pas vraiment convenu. J'ai alors progressivement réalisé que j'avais davantage la fibre mathématique que physique, et mon apprentissage autodidacte s'est petit à petit détourné de la physique vers les mathématiques. Finalement, en entrant en troisième année, je me suis inscrit à un cursus purement mathématique, et je n'ai plus lâché le sujet depuis !
 
Qu’attends-tu du métier de mathématicien ?
 
La possibilité d'explorer les mathématiques, de transmettre ce que j'aurai appris, et ce avec la plus grande liberté possible.
 
Pourquoi le CNRS ?
 
Pour moi, l'enseignement des mathématiques, au sens large, est indissociable du métier de mathématicien. Que ce soit l'enseignement classique à des étudiants universitaires ou la rédaction de survols pour les autres chercheurs, en passant par la vulgarisation sous forme de conférences grand public, d'intervention dans des lycées, ou d'écriture d'articles ou même de livres. L'avantage que je trouve dans la position de chargé de recherche au CNRS, comparée à la position de maître de conférence, est une totale liberté dans l'organisation de ces activités. En particulier, la gestion du partage de mon temps entre enseignement et recherche (qui reste, pour moi, le noyau dur du métier de mathématicien) est simplifiée, et je dirais même optimisée, autorisant une alternance entre ces deux activités sans que l'une n'empiète trop sur l'autre.

Contact

Anthony Genevois est chargé de recherches au CNRS affecté à l'Institut Montpellierain Alexander Grothendieck (IMAG -CNRS & Université de Montpellier).