Interview de Cong Xue

Portraits

Interview de Cong Xue, recrutée chargée de recherches au CNRS en octobre 2020.

Quel est ton domaine de recherche ?

Mes domaines de recherche sont la géométrie algébrique et la théorie des nombres. Plus précisément, mon travail rentre dans le cadre du programme de Langlands. Langlands a conjecturé une correspondance profonde entre des représentations de Galois d'un corps des nombres et des représentations automorphes pour ce corps. La preuve du dernier théorème de Fermat a utilisé un cas particulier de cette correspondance. Cette correspondance a aussi un analogue pour les corps des fonctions (d'une courbe sur un corps fini). Le cas des corps des fonctions est plus simple mais il donne des inspirations pour le cas des corps des nombres. De plus, le programme de Langlands pour les corps des fonctions est comme un pont entre le programme de Langlands pour les corps des nombres et le programme de Langlands géométrique (et sa variante quantique).

Pour construire la correspondance de Langlands pour les corps des fonctions, on utilise les cohomologies des champs de chtoucas, qui sont des généralisations de l'espace des formes automorphes et sont munies d'actions de groupes de Galois. Je travaille sur des propriétés de finitude et de ramification des faisceaux de cohomologie des champs de chtoucas.

Qu'as-tu fait avant d'entrer au CNRS ? Qu'est-ce qui t'a amenée à faire des mathématiques ?

Je m’intéresse depuis toujours aux mathématiques, à la physique, à l’écologie... toutes les sciences permettant de mieux comprendre la nature et l'univers. Pour moi, les mathématiques sont une façon de poursuivre la vérité et de comprendre le monde. J'ai fait une licence de mathématiques à Shanghai Jiao Tong University. Ensuite je suis allée à l'Ecole Polytechnique, où j'ai approfondi mes connaissances en mathématiques et en même temps élargi mon horizon dans d'autres domaines des sciences naturelles et humaines. Pendant le stage de M1, mes tuteurs m'ont introduit des fonctions L de représentations de Galois et de représentations automorphes. Les liens mystérieux entre elles m'ont beaucoup attirée et m'ont amenée au programme de Langlands. Donc j'ai fait le M2 et la thèse à Orsay sur les chtoucas. Ensuite j’ai été en postdoc à Cambridge, où j’ai passé des années fructueuses.

Pourrais-tu nous parler de mathématiciens ou de mathématiciennes qui t'ont marquée, influencée, ou que tu admires tout particulièrement (personnages historiques ou contemporains) ?

Oui, il y en a beaucoup, mais ici je voudrais parler de Gérard Laumon, l'un de mes anciens directeurs de thèse. Il est sincère, juste, patient, très strict en mathématiques. Pendant ma thèse, il m'a dit qu'il faut toujours être honnête envers soi-même. Si on n'a pas compris quelque chose, alors on n'a pas compris. Donc j'ai pris l’habitude de creuser ce que je n'ai pas vraiment compris. Et il m'a dit qu'il ne faut jamais croire des autres directement, il faut chercher la vérité par soi-même. D'ailleurs, quand j'ai eu des moments difficiles en mathématiques, il a attendu que j'aie fini de pleurer et ensuite on a continué à chercher une solution, commencé par un exemple concret ou coupé la question en petites étapes. C'est comme cela que j’ai pris l’habitude d'avoir du courage et toujours de l’espoir.

Qu'attends-tu du métier de mathématicienne ?

D'un côté, j'espère aller plus loin dans le programme de Langlands parce qu'il y a encore tellement de mystères. Pour mieux comprendre ce sujet, il faut sûrement de nouvelles idées (ou même de l'imagination) et des efforts collectifs. D'un autre côté, quel que soit notre métier, pour que nous puissions continuer à vivre dans un monde stable et en paix, nous sommes au moment critique pour résoudre des problèmes environnementaux comme le réchauffement climatique et la chute de la biodiversité... Pour cela, il faut aussi des idées nouvelles et des collaborations multidisciplinaires. J'espère pouvoir y contribuer du côté des mathématiques.

Pourquoi le CNRS ?

D'abord, ce poste permanent me permet de réfléchir sur les problèmes difficiles et importants en mathématiques, dans une perspective de long terme (ce que, en général, on ne peut pas faire sous pression ou à court terme). Ensuite, j'apprécie beaucoup la liberté pour faire la recherche.

Cong Xue
© Cong Xue

 

Contact

Cong Xue est chargée de recherches au CNRS, affectée à l'institut de mathématiques de Jussieu - Paris Rive Gauche (IMJ-PRG - CNRS, Sorbonne Université & Université de Paris).