Interview de jeune chercheuse : Jeanne Dousse

Portraits

Interview de Jehanne Dousse, recrutée au CNRS en octobre 2018.

Quel est ton domaine de recherche ?

Mes recherches se situent à l’interface entre la combinatoire et la théorie des nombres. Je travaille en particulier sur les partitions d’entiers, qui sont une manière d’écrire un nombre entier n comme somme d’autres entiers (par exemple, les partitions de 3 sont 3, 2+1 et 1+1+1). Ces objets sont faciles à définir, mais ils recèlent encore de nombreux mystères et ont des liens profonds avec d’autres domaines des mathématiques tels que l’algèbre, la théorie des représentations ou la physique mathématique. Une partie de mon travail concerne l’étude asymptotique de fonctions liées aux partitions. Il s’agit de comprendre le comportement de ces fonctions lorsque leurs paramètres tendent vers l’infini. Prouver ce type de résultat requiert souvent de combiner plusieurs domaines : la combinatoire (séries génératrices), la théorie des nombres (formes modulaires) et l’analyse complexe. Je m’intéresse aussi aux identités de partitions, qui sont des théorèmes de la forme "pour tout entier n, le nombre de partitions de n satisfaisant certaines conditions est égal au nombre de partitions de n satisfaisant d’autres conditions". La première identité de partitions date de 1748 et est due à Euler. Il a montré que pour tout n, le nombre de partitions de n en nombres distincts (pour n=3, les partitions concernées sont 3 et 2+1) est égal au nombre de partitions de n en nombres impairs (pour n=3, les partitions concernées sont 3 et 1+1+1). Par la suite, de nombreuses autres identités ont été découvertes, comme les identités de Rogers-Ramanujan et le théorème de Schur. Dans les années 80, deux théoriciens des représentations, Lepowsky et Wilson, ont découvert un lien profond entre les identités de Rogers-Ramanujan et la théorie des représentations. Leur approche a donné naissance à plusieurs nouvelles identités qui sont encore conjecturales ou mystérieuses combinatoirement. En ce moment, je me passionne pour l’étude de ces identités et des connections entre partitions et théorie des représentations.

Qu’as-tu fait avant d’entrer au CNRS ?

J’ai étudié à l’ENS Lyon, puis ai fait un master d’informatique théorique à Paris 7 et un master de mathématiques à Paris 6. J’ai fait ma thèse à Paris 7, puis un postdoc de 3 ans à l’Université de Zurich.

Pourrais-tu nous parler de mathématiciens qui t’ont marquée, influencée, ou que tu admires tout particulièrement (personnages historiques ou contemporains) ?

Le mathématicien qui m’a le plus influencée est Ramanujan. C’est lui qui a découvert, entre autres, les résultats les plus fondamentaux dans la théorie des partitions, comme la méthode du cercle, les identités de Rogers-Ramanujan, et les congruences pour le nombre de partitions de n. En plus, je suis très impressionnée par son génie et sa détermination : né dans un petit village indien durant la période coloniale, autodidacte, il a réussi à convaincre Hardy, célèbre mathématicien anglais de l’époque, de la qualité de ses travaux. Ce dernier l’a alors invité à venir le rejoindre à Cambridge, et de cette rencontre est née une collaboration très fructueuse. Parmi les mathématiciens contemporains, j’ai beaucoup d’admiration pour George Andrews. C’est pour une large part la lecture de ses articles qui m’a donné envie de me lancer dans la recherche en combinatoire et théorie des nombres.

Qu’est-ce qui t’a amenée à faire des mathématiques ?

C’est difficile de répondre à cette question, car c’est sûrement une combinaison de facteurs. J’ai toujours aimé le cheminement intellectuel de la résolution d’un problème mathématique : d’abord ne rien comprendre, puis avoir une petite idée, essayer, recommencer, explorer, et enfin y voir plus clair et, si tout va bien, venir à bout du problème. Arriver à résoudre un problème est bien sûr très satisfaisant, mais je trouve aussi beaucoup de charme à la période d’errance qui précède. L’aspect créatif et esthétique des mathématiques me séduit aussi beaucoup. On peut arriver au même résultat par des méthodes totalement différentes, certaines plus élégantes que d’autres.

Pourquoi le CNRS ?

Pour la liberté de pouvoir me consacrer entièrement à la recherche, de pouvoir travailler sur les sujets qui me passionnent, et pour le dynamisme et la qualité de la communauté mathématique française.

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© Jeanne Dousse

Contact

Jehanne Dousse est chargée de recherches CNRS. Elle est membre du l’institut Camille Jordan (ICJ - CNRS, Ecole centrale de Lyon, INSA de Lyon, Université Claude Bernard & Université Jean Monnet).