Interview de Léo Girardin

Portraits

Interview de Léo Girardin, recruté au CNRS en octobre 2020, affecté à l'Institut Camille Jordan.

Quel est ton domaine de recherche ?

Je travaille sur des modèles mathématiques pour la biologie des populations : écologie, évolution, génétique des populations et épidémiologie. Les modèles sur lesquels je travaille sont des équations et des systèmes dits « de réaction-diffusion », faisant essentiellement l’hypothèse que l’évolution, déterministe, d’une densité de population va s’écrire comme la somme d’un terme de diffusion, modélisant la dispersion dans l’espace ou encore les mutations d’un trait phénotypique, et d’un terme de réaction, modélisant l’autoréaction de la population avec elle-même (naissances, morts, etc.) ainsi que sa réaction à l’environnement — autres populations, climat, etc.

Plus spécifiquement, je travaille sur les propriétés de propagation des solutions de ces modèles. À quelle vitesse la population va-t-elle envahir son nouvel environnement ? Quel sera son aire de répartition finale ? À quoi ressemblera le profil du front d’invasion ? Les réponses dépendent typiquement des paramètres du système mais aussi de l’allure des conditions initiales et nécessitent une analyse mathématique poussée, qui constitue un champ de recherche aujourd’hui très dynamique en France et dans le monde. Bien que je me préoccupe surtout du versant théorique de cette analyse, il m’arrive de démarrer l’étude d’un nouveau modèle par des simulations numériques afin de parfaire mon intuition préalable.

Qu’as-tu fait avant d’entrer au CNRS ?

Après un baccalauréat scientifique au Lycée du Mont-Blanc (Passy, Haute-Savoie), j’ai intégré une classe préparatoire au Lycée Berthollet (Annecy, Haute-Savoie). À l’issue de celle-ci, j’ai réussi le concours d’entrée à l’École Normale Supérieure de Cachan (désormais Saclay), où j’ai passé quatre ans en tant que normalien du département de mathématiques. 

J’ai réalisé mon doctorat (trois ans) à Sorbonne Université, au Laboratoire Jacques-Louis Lions, sous la direction de Grégoire Nadin et Vincent Calvez. Pendant mon doctorat, j’ai notamment passé trois mois à Columbus (Ohio), en tant que visiteur du département de mathématiques de l’Université d’État de l’Ohio, invité par King-Yeung Lam.

J’ai ensuite été postdoctorant (deux ans) à l’Université Paris-Saclay, au Laboratoire de Mathématiques d’Orsay, où j’ai travaillé avec Danielle Hilhorst. J’ai pu voyager assez régulièrement, ce qui m’a permis de développer d’autres collaborations, en particulier avec la biologiste Florence Débarre autour de modèles pour le forçage génétique, une problématique d’actualité en biologie évolutionnaire liée aux progrès récents autour de CRISPR-Cas9.

Pourrais-tu nous parler de mathématiciens ou de mathématiciennes qui t’ont marqué, influencé, ou que tu admires tout particulièrement (personnages historiques ou contemporains) ?

Évidemment, les mathématiciens qui m’ont le plus influencé sont mes anciens enseignants. La liste est trop longue pour tous les citer, mais tous ont indubitablement joué leur rôle dans mon parcours.

Je voudrais commencer cette liste non-exhaustive en mentionnant ma professeure de mathématiques en première année de classe préparatoire, Sandrine Meyer. Ce sont sa rigueur sans faille, son attention envers ses élèves et sa passion pour les mathématiques qui ont poussé l’indécis que j’étais vers cette discipline. Je lui dois beaucoup et, si elle nous a malheureusement quitté prématurément, son souvenir continue de me motiver à donner le meilleur de moi-même.

Laurent Desvillettes était mon professeur d’analyse fonctionnelle à l’ENS. Son cours me passionnait et, parallèlement, je savais que Laurent travaillait — entre autres — sur des modèles mathématiques pour la biologie, champ qui m’attirait bien que je n’en connaisse encore rien. C’est donc vers Laurent que je me suis tourné quand l’heure de trouver un stage de M1 est venue. Ce choix a été décisif et extrêmement fructueux, puisque Laurent m’a dirigé vers Vincent Calvez qui a su me faire mordre à l’hameçon des équations aux dérivées partielles appliquées à la biologie — et depuis je n’ai jamais desserré les dents ! J’ai par la suite croisé Laurent à de multiples reprises et ses exposés mathématiques ne cessent de m’impressionner.

Un autre mathématicien que je souhaite citer ici est Henri Berestycki, que j’ai découvert lors d’une conférence pendant mon stage de M1 et dont le style m’a immédiatement séduit : goût pour la modélisation, compréhension fine des phénomènes mathématiques, chaleur humaine et pédagogie. Henri m’a ensuite initié en M2 aux arcanes de l’analyse théorique des équations de réaction-diffusion et a depuis toujours veillé sur moi avec bienveillance, notamment en acceptant de présider mon jury de thèse.

Trois moments critiques dans mon parcours de mathématicien, trois intersections sur le chemin, et à chaque fois un ou une guide pour m’indiquer la direction.

Qu’attends-tu du métier de mathématicien ?

Pour moi, être mathématicien, c’est se confronter aux constructions mentales les plus sophistiquées que l’esprit humain ait pu concevoir, aux puzzles et aux casses-têtes les plus raffinés. C’est donc un défi remarquable qui stimule en permanence l’intellect. Là où notre société privilégie le confort et l’économie d’énergie fournie par l’individu, les mathématiques vont à contre-courant en enseignant une culture de l’effort incessant, de la rigueur mais aussi de la patience. Les mathématiques sont pour moi une voie pour l’accomplissement de soi.

Mais être mathématicien, ce n’est pas travailler seul dans une tour d’ivoire ; c’est au contraire aller à la rencontre des autres scientifiques, qu’ils soient mathématiciens ou non, pour se nourrir de leur point de vue et, en retour, les nourrir de sa propre analyse. Les interactions, qu’elles soient intradisciplinaires ou interdisciplinaires, sont de mon point de vue nécessaires à toute avancée scientifique notable. J’attends donc de mon métier qu’il m’offre de nombreuses opportunités de rencontres, en France comme à l’étranger, au sein de la communauté mathématique comme en dehors.

Plus spécifiquement, en choisissant de travailler sur des modèles issus de la biologie et de la dynamique des populations, j’espère avoir l’occasion de contribuer à l’étude de certains des plus grands défis de notre époque, comme les conséquences du dérèglement climatique et de la mondialisation (chute de la biodiversité, phénomènes migratoires, pandémies) ou encore l’ingénierie génétique (OGM, CRISPR).

Pourquoi le CNRS ?

Le CNRS offre des conditions de travail exceptionnelles : choix de l’affectation, recherche à temps plein, statut de fonctionnaire, liberté de définir soi-même son projet de recherche. Ce modèle, unique ou presque dans le monde, me parait aujourd’hui menacé mais je pense qu’il doit au contraire être préservé, renforcé et exporté à l’étranger. De ce point de vue, rejoindre le CNRS est aussi une manière de montrer la pertinence et l’attractivité de celui-ci.

© Chancellerie de Paris/Julien Benhamou.
© Chancellerie de Paris/Julien Benhamou

 

Contact

Léo Girardin est chargé de recherche CNRS, membre de l'Institut Camille Jordan (ICJ - CNRS, Ecole centrale de Lyon, Insa de Lyon, Université Claude Bernard & Université Jean Monnet).