Interview de Thibault Lefeuvre

Portraits

Interview de Thibault Lefeuvre, recruté au CNRS en octobre 2020, affecté à l'Institut de mathématiques de Jussieu - Paris rive gauche.

Quel est ton domaine de recherche ?

Je travaille dans le domaine de l’analyse microlocale, à la frontière de la géométrie riemannienne et des systèmes dynamiques. L’analyse microlocale cherche à prédire la régularité des solutions aux équations aux dérivées partielles : c’est elle qui, par exemple, permet d’expliquer qu’un caillou jeté dans un étang produit une première onde circulaire (appelée front d’onde) puis d’autres ondes concentriques plus faibles, alors que l’explosion d’un pétard ne s’entend qu’une seule fois, quand bien même ces deux phénomènes sont régis par la même équation d’évolution appelée équation des ondes. Cette théorie trouve de plus en plus d’applications dans divers domaines des mathématiques ; j’étudie grâce à elle des géométries dites chaotiques (à courbure négative par exemple) dans lesquelles le déplacement naturel des particules (les géodésiques, en termes mathématiques) sont imprévisibles car trop sensibles aux conditions initiales. Comme dans tout système chaotique, l’une des questions majeures est de comprendre ce qui caractérise fondamentalement le système : puisqu’il est impossible de suivre le mouvement d’une trajectoire isolée, on cherche à trouver plutôt des invariants globaux, qui détectent toute la géométrie à la fois. La grande conjecture sur laquelle je travaille, dite conjecture du spectre marqué des longueurs, stipule que la donnée des longueurs des trajectoires périodiques (marquées par lhomotopie libre) sur une telle géométrie chaotique devrait la caractériser entièrement.

Quas-tu fait avant dentrer au CNRS ?

Je vais faire dans l’original : une thèse (sous la direction de Colin Guillarmou) !

Pourrais-tu nous parler de mathématiciens ou de mathématiciennes qui tont marqué, influencé, ou que tu admires tout particulièrement (personnages historiques ou contemporains) ?

Eh bien, je n’ai pas de réponse originale ; si je devais en faire une, elle serait sûrement bien galvaudée puisque je répondrais Galois, qui est peut-être l’un des seuls mathématiciens que tout le monde connaît, et qui est aux mathématiques ce que Rimbaud fut à la poésie, c’est-à-dire une étoile filante qui a filé sans qu’on ne la voie, et qu’on n’a redécouvert que bien des années après sa mort. Galois a introduit la notion de groupes pour montrer que les équations polynomiales de degré supérieur ou égal à 5 n’étaient pas résolubles par radicaux, et ce concept reste encore l’une des clés de voûte des mathématiques modernes. A y songer de plus près, des mathématiciens plus contemporains tels que Lars Hörmander (le père de l’analyse microlocale) ou Mikhaïl Gromov me paraissent aussi être, sur le plan mathématique, j’entends, des exemples de pionniers de génie, en ce qu’ils ont défriché des pans entiers des mathématiques et ouvert de nouvelles voies de recherche qui sont encore explorées à l’heure actuelle. Et puis, bien sûr, il y a tous les mathématiciens, amis et collègues, que je fréquente quotidiennement et dont l’influence sur mes travaux est évidente.

Qu'est-ce qui ta amené à faire des mathématiques ?

J’ai très vite eu goût pour ce qui tenait des activités créatrices de l’esprit et, en ce sens, les mathématiques m’ont toujours paru être la moins scientifique des disciplines, et peut-être la plus littéraire d’entre elles, car l’activité créatrice — l’acte de création comme l’appelle Deleuze dans l’une de ses conférences, c’est-à-dire, par exemple, l’introduction de nouveaux concepts — y est essentielle. Donc, par goût de la provocation, je dirais que c’est avant tout mon goût pour la littérature qui m’a poussé à faire des mathématiques.

Quattends-tu du métier de mathématicien ?

Je ne sais pas si j’en attends grand chose, mais je peux dire pourquoi je l’aime : car c’est peut-être l’un des rares métiers au monde où le sentiment de son ignorance est de plus en plus prégnant à mesure que l’on progresse ; et la somme des choses que l’on méconnaît augmente toujours plus vite que l’impression de compréhension. Alors s’il y a bien une raison qui me fait aimer ce métier, c’est qu’il y a toujours à apprendre et qu’une vie entière ne parviendrait pas à rassasier cet appétit de savoir. Somme toute, le laboratoire est peut-être l’un des rares endroits où la curiosité n’est jamais un vilain défaut !

Pourquoi le CNRS ?

Pour la très grande liberté de recherche qui nous est offerte.

Thibault Lefeuvre
© Francesca Mantovani

 

Contact

Thibault Lefeuvre est chargé de recherche au CNRS, affecté à l'Institut de mathématiques de Jussieu - Paris rive gauche (IMJ-PRG - CNRS, Sorbonne Université & Université de Paris).