Les mathématiques au Conseil présidentiel de la science

Institutionnel

Jeudi 7 décembre 2023, le président de la République a annoncé la création d'un nouveau Conseil national scientifique. L'objectif ? Réconcilier le monde scientifique avec celui de la politique.

Claire Mathieu, informaticienne et membre de l'Académie des Sciences, et Hugo Duminil-Copin, mathématicien et Médaille Fields 2022, rejoignent ce conseil présidentiel de la science auprès de l'Élysée. CNRS Mathématiques (Insmi) et CNRS Sciences Informatiques se réjouissent que les enjeux de la recherche dans leurs domaines soient portés au plus haut niveau de la sphère politique, en éclairage des politiques publiques de demain.

En désaccord avec le projet de loi « immigration » adoptée par le Parlement, Claire Mathieu a présenté sa démission du Conseil présidentiel de la science le 21 décembre 2023.

Dans cet article, Claire Mathieu revient avec nous sur le lien intrinsèque entre algorithmique et mathématiques.

Les mathématiques sont à la base des sciences.
Claire Mathieu

Directrice de recherche CNRS à l’Institut de recherche en informatique fondamentale (IRIF - CNRS/Université Paris Cité), Claire Mathieu est une informaticienne française. Elle a consacré sa carrière à la conception et l’analyse d’algorithmes, en particulier sur les algorithmes d'approximation, les algorithmes en ligne, et la théorie des enchères. Elle a occupé une chaire au Collège de France pour l’année 2017-2018, puis a été élue à l’Académie des sciences en 2019. La même année, elle a obtenu la médaille d’argent du CNRS. 

Claire MATHIEU photographiée par Patrick Imbert © Collège de France

Quel a été votre déclic pour poursuivre sur la voie des algorithmes ?

Mon déclic a été un cours d’informatique à l’École Normale Supérieure de jeunes filles (ENSJF). Je me souviens en particulier d’une question dans un projet de programmation, demandant un calcul par simulation de la profondeur moyenne des arbres 2-3, qui m’a plongée dans des abîmes de perplexité car la notion de « moyenne » dépendait de la distribution étudiée, qui n’était pas spécifiée : soit l’arbre est obtenu par une suite d’insertions aléatoires (facile à simuler), soit on considère la distribution uniforme sur tous les arbres 2-3 contenant n éléments. Cette deuxième possibilité me semblait la plus naturelle, mais je ne savais pas comment faire cette simulation de façon efficace. Je me souviens également d’un cours montrant la borne inférieure n log n pour la complexité dans le pire cas pour tout algorithme de tri par comparaisons. L’idée qu’il était possible de montrer une borne inférieure sur tous les algorithmes imaginables de tri par comparaison, c’était magique. 

J’aime l’aspect concret des algorithmes, la résolution effective des problèmes, le fait que l’on puisse voir la solution en train de se construire.

Y voyez-vous plutôt une rupture ou une continuité avec les mathématiques ? 

Du point de vue du sujet d’étude, il y a continuité entre mathématiques et algorithmique. La rupture est au niveau de la communauté scientifique : nous ne publions pas dans les mêmes revues, ne participons pas aux mêmes conférences et colloques, et donc nous formons des liens et collaborons avec des personnes différentes.

  • Là où mathématiciennes / mathématiciens et algorithmiciennes / algorithmiciens partagent un même espace de travail, cela influence positivement la recherche en algorithmique, par une ouverture (potentielle) vers des méthodes mathématiques plus avancées et peut-être plus profondes.
  • Là où algorithmiciennes / algorithmiciens et autres informaticiennes / informaticiens partagent un même espace de travail, cela influence positivement la recherche en algorithmique, en ouvrant les chercheurs à de nouveaux problèmes ou modèles venant d’autres domaines de l’informatique.

Ces deux types d’ouverture sont difficilement compatibles car ils procèdent d’une attitude envers la recherche assez différente. L’une est focalisée sur les méthodes mathématiques utilisables, tandis que l’autre est focalisée sur les utilisations des algorithmes. Mais toutes deux ont leur place dans le paysage de la recherche en algorithmique.

Quelle place ont les mathématiques dans ces questions d'avenir que sont les algorithmes et l'intelligence artificielle ? 

Il est impossible d’étudier les algorithmes sans de bonnes bases en mathématiques. De plus, les connaissances mathématiques que peut avoir une chercheuse ou chercheur en algorithmique sont en soi un atout précieux. En apprentissage automatique, c’est encore plus important.

Pour faire de la recherche en algorithmique, nous avons les mêmes exigences d’aisance mathématique que pour la recherche en mathématiques.

Peut-on redonner du sens aux mathématiques en élargissant leurs débouchés ?  

Les mathématiques sont à la base des sciences. Mais les débouchés hors carrière de mathématicienne / mathématicien ou de l’enseignement des mathématiques exigent une certaine ouverture à d’autres attitudes, d’autres critères. Peut-être pourrait-on envisager des formations bi-disciplinaires pour favoriser cette ouverture.

Quel serait votre objectif au sein du conseil national scientifique ? 

Je souhaite que scientifiques et politiques soient moins éloignés les uns des autres, pour que d’une part la science puisse informer les décisions politiques, et que d’autre part les décisions politiques, parfois motivées par d’autres critères non scientifiques mais importants, ne soient pas accueillis par les scientifiques avec défiance et incompréhension.

En tant que scientifique, je suis bien sûr d’abord soucieuse que les décisions politiques soient prises en bonne connaissance de la science sous-jacente.

Pour aller plus loin

  • 1CNRS/Université Paris-Cité

En désaccord avec le projet de loi « immigration » adoptée par le Parlement quelques jours auparavant, Claire Mathieu a présenté sa démission du Conseil présidentiel de la science le 21 décembre 2023.