Maths et cinéma : Le théorème de Marguerite | Interview d'Ariane Mézard

Médiation

Ariane Mézard est mathématicienne, professeure à l'ENS Paris. De l'écriture au tournage, elle a participé à la réalisation du film Le théorème de Marguerite, dans le rôle de conseillère scientifique auprès de la réalisatrice Anna Novion.
Elle raconte.

Q1. Ariane Mézard, pouvez-vous vous présenter ?

Portrait

J’ai 51 ans, je suis professeur des universités à Sorbonne Université (Institut de Mathématiques de Jussieu Paris rive gauche), en détachement pour 10 ans au Département de Mathématiques et Applications (DMA) de l’ENS PSL, membre senior de l’Institut universitaire de France (IUF). Mon domaine de recherche est la géométrie arithmétique. J’étudie notamment les déformations de représentations galoisiennes p-adiques.

Q2. De la réalisatrice Anna Novion, Le théorème de Marguerite est sorti en salle le 1er novembre 2023. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le récit ?
Qui est Marguerite, l’héroïne du film ?

Marguerite a 25 ans, elle est en dernière année de thèse à l’ENS. Son domaine de recherche est la théorie analytique des nombres. Elle étudie les progressions arithmétiques dans les ensembles finis d’entiers.
Marguerite, remarquablement interprétée par Ella Rumpf, est un personnage très introverti, au poil gras, concentré sur sa thèse dont elle va présenter les résultats lors d’un séminaire à l’Institut Henri Poincaré. L’exposé va très mal se passer et va la conduire à renoncer aux mathématiques.

Le théorème de Marguerite est l’histoire d’une jeune femme qui s’est construite à l’aide des mathématiques dont la carapace éclate à la suite d’un échec.

Ella Rumpf est Marguerite

Q3. Professeure en mathématiques à l’ENS, vous avez ainsi été conseillère scientifique auprès de la réalisatrice. Comment le projet vous est-il parvenu, et en quoi a consisté votre mission ?

Anna Novion, réalisatrice et scénariste, cherchait un sujet de thèse pour le personnage principal du scénario qu’elle était en train d’écrire en 2017. C’est Jean Mairesse, alors directeur adjoint de CNRS Sciences informatiques (INS2I), qui lui a conseillé de me contacter. Ni Anna ni moi-même ne savions à quoi nous attendre. Anna était bienveillante et curieuse de tout, comme un grand chef qui collecte ses ingrédients et qui est avide d’en découvrir de nouveaux. Rétrospectivement, je dirais que ma mission était d’alimenter le film d’Anna en mathématiques.

Jean-Pierre Darroussin, dans le rôle du directeur de thèse de Marguerite

Pendant le tournage, les mathématiques avaient son équipe propre. Avec Romain Branchereau et Anthony Gauvan, alors vrais doctorants au DMA, nous avons activement travaillé avec l’équipe décor. Si Ella Rumpf, Julien Frison et Jean-Pierre Darroussin, ont tenu à écrire eux-mêmes certains de leurs tableaux, nous les avons précédés et accompagnés tout au long du tournage. Il faut dire que la craie avait tendance à migrer sur le dos des membres de l’équipe du film.

Lorsque nous retrouvions nos formules en vadrouille sur les tee-shirts noirs, nous savions qu’il y avait des retouches à faire sur les murs de l’appartement de Marguerite. A l’ENS, c’est mon bureau qui a servi de loge pour les acteurs, et c’est le bureau de Romain qui est devenu celui de Laurent Werner, directeur de thèse de Marguerite.

Q.4 Pourriez-vous nous partager un retour d’expérience ? Avez-vous rencontré des difficultés, eu des surprises ?

Cela a été pour moi, une succession d’heureuses et d’intenses surprises. Je n’avais aucune idée du chemin qu’il fallait parcourir du scénario à la sortie d’un film.
 

Ella Rumpf, Jean-Pierre Darroussin et Julien Frison sont des nôtres.

Le plus grand choc a été de voir le passage du texte à son interprétation, sa mise en scène, de découvrir l’attention portée par chaque membre de l’équipe, image, son, lumière, maquillage, costume, décor,... lors du tournage des scènes. Le temps était suspendu, chacun racontait l’histoire avec son propre langage, tous de concert, dirigé par Anna. C’était un magnifique travail ensemble. Le travail des acteurs a été aussi stupéfiant. Ella Rumpf, Jean-Pierre Darroussin et Julien Frison sont des nôtres.

Q5. Dans le film, Marguerite est une brillante élève en mathématiques de l’ENS, et la seule fille de sa promotion – cette situation reflète-elle la réalité ? En tant que femme, Marguerite affronte-t-elle plus d’obstacles que ses condisciples masculins ?

Evidemment, il existe des élèves brillantes en mathématiques à l’ENS ! C’est la réalité ! Mais c’est vrai que les jeunes femmes sont minoritaires. En 2017, aucune fille n’a intégré le DMA. La solitude est inhérente à la recherche. Marguerite est sans doute plus seule que les autres de part sa singularité. Elle cherche à s’effacer à ressembler aux autres. Cela entrave sa liberté personnelle et scientifique.

Q6. Plus largement, quel regard pose le film sur la recherche en mathématiques ?

La recherche en mathématiques est présentée comme une activité profondément humaine, très exigeante mais sources d’émotions intenses. Le film souligne aussi la nécessité de la confrontation à l’autre pour avancer.

Q7. Le jour où Marguerite présente sa thèse, une erreur bouscule toutes ses certitudes et l’édifice s’effondre. L’erreur…se glisse-t-elle souvent dans les travaux des mathématiciens ? Quelles conséquences peut-elle entrainer ?

Il n’y a pas d’erreur en mathématiques. S’il y a une erreur, ce ne sont plus des mathématiques, « c’est vide » dit Laurent Werner. Un travail qui contient une erreur n’a aucune valeur quelque soit le temps qu’on y ait mis. Il n’y a pas d’intention qui compte, juste la fin. En revanche, découvrir une erreur dans son propre travail c’est extrêmement positif, cela signifie qu’on a compris quelque chose qui nous échappait. Trouver une erreur c’est progresser. La corriger et tout redevient mathématiques.

Q8. Le théorème de Marguerite est sorti en salle le 1er novembre 2024. Pourquoi est-il un film à ne pas rater ?

Parce que Marguerite est un personnage profondément humain, une héroïne singulière, une mathématicienne.

Le théorème de Marguerite | Bande annonce

Audiodescription

Ariane Mézard, qui êtes-vous ?

J’ai 51 ans, je suis professeur des universités à Sorbonne Université, en détachement pour 10 ans au Département de Mathématiques et Applications (DMA) de l’ENS PSL, membre senior de l’IUF. Mon domaine de recherche est la géométrie arithmétique. J’étudie notamment les déformations de représentations galoisiennes p-adiques.

Le théorème de Marguerite est un film réalisé par Anna Novion, qui sortira cet automne. Avant d’aborder avec vous le rôle que vous y avez joué, pourriez-vous nous dire quelques mots sur le récit ? Qui est Marguerite, l’héroïne du film ?

Marguerite a 25 ans, elle est en dernière année de thèse à l’ENS. Son domaine de recherche est la théorie analytique des nombres. Elle étudie les progressions arithmétiques dans les ensembles finis d’entiers. Marguerite, remarquablement interprétée par Ella Rumpf, est un personnage très introverti, au poil gras, concentré sur sa thèse dont elle va présenter les résultats lors d’un séminaire à l’Institut Henri Poincaré. L’exposé va très mal se passer et va la conduire à renoncer aux mathématiques. Le théorème de Marguerite est l’histoire d’une jeune femme qui s’est construite à l’aide des mathématiques dont la carapace éclate à la suite d’un échec.

Professeure en mathématiques à l’ENS, vous avez donc été conseillère scientifique auprès de la réalisatrice – comment le projet vous est-il parvenu, et en quoi a précisément consisté votre mission ?

Anna Novion, réalisatrice et scénariste, cherchait un sujet de thèse pour le personnage principal du scénario qu’elle était en train d’écrire en 2017. C’est Jean Mairesse, alors directeur adjoint de l’INSMI qui lui a conseillé de me contacter.
Ni Anna ni moi-même ne savions à quoi nous attendre. Anna était bienveillante et curieuse de tout, comme un grand chef qui collecte ses ingrédients et qui est avide d’en découvrir de nouveaux.

Rétrospectivement, je dirais que ma mission était d’alimenter le film d’Anna en mathématiques. Pendant le tournage, les mathématiques avaient son équipe propre. Avec Romain Branchereau et Anthony Gauvan, alors vrais doctorants au DMA, nous avons activement travaillé avec l’équipe décor. Si Ella Rumpf, Julien Frison et Jean-Pierre Darroussin, ont tenu à écrire eux-mêmes certains de leurs tableaux, nous les avons précédés et accompagnés tout au long du tournage. Il faut dire que la craie avait tendance à migrer sur le dos des membres de l’équipe du film.
Lorsque nous retrouvions nos formules en vadrouille sur les tee-shirts noirs, nous savions qu’il y avait des retouches à faire sur les murs de l’appartement de Marguerite. A l’ENS, c’est mon bureau qui a servi de loge pour les acteurs, et c’est le bureau de Romain qui est devenu celui de Laurent Werner, directeur de thèse de Marguerite.

Pourriez-vous nous partager un retour d’expérience ? Avez-vous rencontré des difficultés, eu des surprises ?

Cela a été pour moi, une succession d’heureuses et d’intenses surprises. Je n’avais aucune idée du chemin qu’il fallait parcourir du scénario à la sortie d’un film.
Le plus grand choc a été de voir le passage du texte à son interprétation, sa mise en scène, de découvrir l’attention portée par chaque membre de l’équipe, image, son, lumière, maquillage, costume, décor,... lors du tournage des scènes. Le temps était suspendu, chacun racontait l’histoire avec son propre langage, tous de concert, dirigé par Anna. C’était un magnifique travail ensemble. Le travail des acteurs a été aussi stupéfiant. Ella Rumpf, Jean-Pierre Darroussin et Julien Frison sont des nôtres.

Dans le film, Marguerite est une brillante élève en mathématiques de l’ENS, et la seule fille de sa promotion – cette situation reflète-elle la réalité ? En tant que femme, Marguerite affronte-t-elle plus d’obstacles que ses condisciples masculins ?

Evidemment, il existe des élèves brillantes en mathématiques à l’ENS ! C’est la réalité ! Mais c’est vrai que les jeunes femmes sont minoritaires. En 2017, aucune fille n’a intégré le DMA. La solitude est inhérente à la recherche. Marguerite est sans doute plus seule que les autres de part sa singularité. Elle cherche à s’effacer à ressembler aux autres. Cela entrave sa liberté personnelle et scientifique

Plus largement, quel regard pose le film sur la recherche en mathématiques ?

La recherche en mathématiques est présentée comme une activité profondément humaine, très exigeante mais sources d’émotions intenses. Le film souligne aussi la nécessité de la confrontation à l’autre pour avancer.

Le jour où Marguerite présente sa thèse, une erreur bouscule toutes ses certitudes et l’édifice s’effondre. L’erreur…se glisse-t-elle souvent dans les travaux des mathématiciens ? Quelles conséquences peut-elle entrainer ?

Il n’y a pas d’erreur en mathématiques. S’il y a une erreur, ce ne sont plus des mathématiques, « c’est vide » dit Laurent Werner. Un travail qui contient une erreur n’a aucune valeur quelque soit le temps qu’on y ait mis. Il n’y a pas d’intention qui compte, juste la fin. En revanche, découvrir une erreur dans son propre travail c’est extrêmement positif, cela signifie qu’on a compris quelque chose qui nous échappait. Trouver une erreur c’est progresser. La corriger et tout redevient mathématiques.

Pour terminer, pourquoi Le théorème de Marguerite est un film qu’il faudra aller voir, à sa sortie en salle le 1er novembre 2023 ?

Parce que Marguerite est un personnage profondément humain, une héroïne singulière, une mathématicienne