À propos de la médaille d’argent de Christophe Breuil

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Christophe Breuil travaille en arithmétique et en géométrie algébrique. Ses recherches se répartissent selon deux axes : théorie de Hodge p-adique entière (et applications), programme de Langlands p-adique pour des groupes réductifs p-adiques arbitraires (et applications).

 

Dans les années 60, le mathématicien canadien Robert Langlands a formulé un vaste programme qui a impulsé une part substantielle des recherches des dernières décennies en théorie des nombres ainsi qu’en géométrie algébrique. Cet ensemble de conjectures appelé aujourd’hui programme de Langlands ou correspondance de Langlands dresse des ponts entre la théorie des nombres et d’autres parties des mathématiques, notamment la théorie des représentations des groupes et la théorie de certaines fonctions nommées formes automorphes. Ces idées se sont avérées extrêmement fécondes et ont permis de démontrer nombre de résultats importants au fil des ans, à commencer par le théorème de Fermat en 1994 par Andrew Wiles. Pour autant, l’exploration et la démonstration de cette « correspondance » sont loin d’être achevées : elles représentent toujours, pour les mathématiciens, un défi à relever.

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C’est dans ce cadre que se placent les travaux de Christophe Breuil. Le programme de Langlands vise à relier des représentations de groupes de Galois (tels que le groupe de Galois absolu du corps Qp des nombres p-adiques ou celui du corps Q des nombres rationnels) à des représentations de groupes algébriques réductifs (comme par exemple GL2(Qp)). Mais ces dernières sont des représentations complexes et non p-adiques. Le point nouveau et fondamental de l’approche initiée par Christophe Breuil avec le programme de Langlands "p-adique" est précisément l’apparition possible d’une correspondance avec de la topologie p-adique des deux côtés (i.e., les représentations du groupe de Galois et celles du groupe réductif sont des représentations continues dans des espaces vectoriels munis d’une topologie p-adique). Ce programme est aujourd’hui un domaine de recherches très fructueux.

L’un des objectifs de ce programme consiste notamment à comprendre comment la théorie de Hodge p-adique côté représentations de Galois (qui est essentiellement absente du programme de Langlands classique) peut s’incarner côté représentations de GLn(L) où L est une extension finie de Qp. Un autre objectif (lié au précédent) est de comprendre les représentations de GLn(L) portées par la cohomologie étale p-adique complétée d’une tour de variétés de Shimura. Ces représentations devraient au moins "contenir" la théorie de Jean-Marc Fontaine des représentations galoisiennes p-adiques locales associées aux formes automorphes algébriques liées aux variétés de Shimura considérées (mais aussi à des formes automorphes p-adiques). Ce programme, bien qu’encore à ses débuts (il est totalement résolu seulement pour GL2(Qp)) a déjà eu des applications profondes à des théorèmes de modularité.

Mais revenons sur les principales contributions scientifiques de Christophe Breuil. Les travaux menés par Christophe Breuil dans la première partie de sa carrière sur la théorie de Hodge p-adique entière et ses applications ont eu une grande influence dans le domaine. Christophe Breuil a par exemple obtenu une classification des schémas en groupes et des groupes p-divisibles pour p > 2 sur l’anneau des entiers de L [1], puis une seconde classification des schémas en groupes annulés par p sur utilisant des techniques de corps des normes au lieu de techniques cristallines. Ces sujets ont depuis été abondamment repris par divers auteurs et dernièrement englobés (pour le cas lisse) au sein de la vaste théorie de Bhatt-Scholze-Morrow.

Durant la deuxième partie de sa carrière, Christophe Breuil a donc travaillé sur le Programme de Langlands p-adique. Plus précisément, un nombre premier p étant fixé, on considère deux extensions L et E de degrés finis de Qp telles que E contienne une clôture galoisienne de L, et il s’agit de déterminer les représentations π = π(ρ) continues p-adiques et localement analytiques (resp. modulo p : on parle alors de "programme de Langlands modulo p") de GLn(L), ou plus généralement des L-points d’un groupe algébrique réductif, qui sont "associées" aux représentations linéaires continues p-adiques ρ (resp. modulo p) de dimension n du groupe de Galois absolu de L à coefficients dans E (resp. dans le corps résiduel de E). Le programme de Langlands p-adique et son avatar modulo p sont maintenant bien compris dans le cas de GL2(Qp) grâce notamment aux travaux de Christophe Breuil et de ses co-auteurs et à ceux de Pierre Colmez, et ont permis de prouver complètement les conjectures de modularité pour GL2/Q (Matthew Emerton, Mark Kisin). Christophe Breuil s’est ensuite attelé avec ses élèves et co-auteurs au développement du programme de Langlands p-adique pour d’autres groupes que GL2(Qp). Avec Vytautas Paskunas [2], il a réalisé plusieurs étapes importantes en direction d’une correspondance de Langlands modulo p pour le groupe GL2(L) avec L non ramifiée sur Qp, où la situation se trouve être déjà beaucoup plus compliquée que pour GL2(Qp). Il a poursuivi dans [3] avec Fred Diamond la démarche ainsi entreprise.

Christophe Breuil a par la suite exploré la situation de GLn(L) avec pour objectif d’essayer de dégager des phénomènes généraux, éventuellement conjecturaux, du programme de Langlands p-adique qui ne sont pas liés à la situation particulière de GL2(L) (et encore moins de GL2(Qp)). Il a notamment développé, avec Florian Herzig et Benjamin Schraen, un vaste "corpus conjectural" qui décrit le nombre, la nature (induite parabolique ou pas, et de quel parabolique) et la position (filtration par le socle) des constituants hypothétiques des représentations de GLn(L) (supposées de longueur finie) obtenues via la correspondance de Langlands p-adique. Avec Florian Herzig [4], il a proposé, dans le cas d’un groupe réductif G déployé à centre connexe, un candidat pour la sous-représentation maximale de la représentation conjecturalement obtenue par la correspondance de Langlands p-adique. Avec Eugen Hellmann et Benjamin Schraen, il a récemment obtenu des résultats importants sur les vecteurs localement analytiques des représentations de GLn(L) ci-dessus, résultats qui ont par ailleurs eu comme applications de nouveaux théorèmes de modularité ([5], [6]).

 

Références

[1] Christophe Breuil, Groupes p-divisibles, groupes finis et modules filtrés, Annals of Math. 151, 2000, 489-549.

[2] Christophe Breuil et Vytautas Paskunas, Towards a modulo p Langlands correspondence for GL2, Memoirs of Amer. Math. Soc. 216, 2012. 

[3] Christophe Breuil et Fred Diamond, Formes modulaires de Hilbert modulo p et valeurs d’extensions entre caractères galoisiens, Ann. Scient. Ec. Norm. Sup. 47, 2014, 905-974. 

[4] Christophe Breuil et Florian Herzig, Ordinary representations of G(Qp) and fundamental algebraicrepresentations, Duke Math. J. 164, 2015, 1271-1352. 

[5] Christophe Breuil, Eugen Hellmann et Benjamin Schraen, Une interprétation modulaire de la variété trianguline, à paraître à Math. Annalen.

[6] Christophe Breuil, Eugen Hellmann et Benjamin Schraen, Smoothness and classicality on eigenvarieties, à paraître à Inv. Math.

Contact

Christophe Breuil est directeur de recherche CNRS. Il est membre du laboratoire de mathématiques d’Orsay (LMO - CNRS & Université Paris-Sud).