Récupération de la conscience après un traumatisme crânien grave : une restauration de la connectivité cérébrale ?

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L’occurrence d’un traumatisme crânien grave peut conduire à une altération chronique ou transitoire de conscience. Dans l’étude longitudinale publiée dans le journal Brain Communications, la Dr Oujamaa et ses collègues dont Sophie Achard, directrice de recherche CNRS au LJK1 , ont étudié comment les réseaux cérébraux de ces patientes et patients se réorganisent suite à l’accident traumatique. La méthode des graphes a permis d’analyser la connectivité cérébrale par IRM fonctionnelle et d’extraire un index de réorganisation des réseaux pour chaque patient.

  • 1CNRS/Université Grenoble Alpes

Après un traumatisme crânien grave, outre les déficiences physiques, le patient ou la patiente peut présenter une altération de la conscience qui impacte lourdement son devenir. Quel pronostic pour ces patients ? Quelles capacités de récupérations ont-ils ? Telles sont les questions qui se posent non seulement à l’entourage mais également aux soignantes et soignants. S’intéresser à leurs réseaux cérébraux est devenu non seulement un outil de recherche mais également une préconisation des sociétés savantes de neuro-rééducation dans cette situation[1].

Les réseaux cérébraux peuvent être explorés grâce à l’IRM fonctionnelle de repos, c’est-à-dire sans requérir de tâche spéciale du sujet examiné. C’est donc un examen qui convient bien à ces patients. Il permet d’observer les activités cérébrales spontanées et de décrire les régions qui sont connectées entre elles. Un outil idéal pour une telle observation est la théorie des graphes, qui peut aussi bien décrire les réseaux aériens que les réseaux sociaux. Ces graphes présentent des nœuds particuliers qui communiquent à grande distance avec de multiples régions. Ils se comportent comme des nœuds pivots (hub en anglais) et assurent des capacités intégratives puisqu’ils captent les informations de plusieurs régions. D’autres régions sont plus densément connectées localement et forment des clusters, permettant des capacités de spécialisation. La théorie des graphes permet de quantifier ces propriétés de spécialisation et d’intégration dans le réseau cérébral. Après un arrêt cardio-respiratoire, l’équipe de recherche avait mis en évidence une restructuration de ces réseaux cérébraux avec apparitions d’hypoconnectivité, mais aussi de manière plus surprenante d’hyperconnectivité chez des patients restés comateux. Les auteurs de l’étude avaient alors développé un index pour mesurer ces modifications par rapport à des réseaux classiques chez des sujets contrôles, le ‘hub disruption index’ (HDI)[2] et avaient montré que ce HDI était très différent entre patients dans le coma et sujets contrôles.

Dans l’étude présentée ici[3], les chercheurs et chercheuses s’interrogent pour savoir si un retour des réseaux cérébraux vers un fonctionnement plus proche de celui de sujets sains serait un indicateur de l’état de conscience. Pour répondre à cette question, ils ont suivi 34 patients après traumatisme crânien grave et ont évalué leurs réseaux cérébraux non seulement en sortie de soins intensifs (environ 1 mois après le traumatisme) mais également en sortie de rééducation (environ 3 mois après le traumatisme). Comme pour l’étude sur les patients en coma suite à un arrêt cardio-respiratoire, les auteurs ont trouvé un HDI attestant des modifications des propriétés de spécialisation et d’intégration des réseaux. Le principal apport de cette étude est son côté longitudinal qui permet d’évaluer si la récupération de la conscience s’accompagne ou non d’un retour des propriétés des réseaux cérébraux vers ceux des sujets sains. Ce qui a été montré ici est une évolution vers une normalisation des réseaux sans toutefois être totalement similaires à ceux de sujets sains. Peut-être faut-il plus de temps après la rééducation pour que ceux-ci soient à nouveau similaires à ceux de sujets sains ? Peut-être les lésions cérébrales conduisent-elles à l’installation de mécanismes de compensation pour conserver un réseau cérébral modifié et opérationnel ?

Dans un commentaire scientifique de cette étude[4], les relecteurs proposent que le réseau cérébral soit plutôt dys-connecté (connexions modifiées) que dé-connecté (perte de connexions) lors de la perte de conscience. Si tel est le cas, alors, des modulations ciblées de ces connexions pourraient peut-être permettre de stimuler un retour vers la conscience, ouvrant alors des pistes thérapeutiques nouvelles pour ces patients.

Illustration actualité scientifique
Figure 1 : L'étude du réseau cérébral de patient après traumatisme crânien grave (ligne du haut) permet d'extraire un index de réorganisation (Hub Disruption Index) par comparaison avec les réseaux de sujets sains (en bas à gauche). Cet index, après récupération de la conscience, tend à se normaliser (en bas à droite). Graphical abstract de l’article.

NB : figure extraite de l’article publié en Science Ouverte « This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted reuse, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited. »

Références

1. Edlow BL, Claassen J, Schiff ND, Greer DM. Recovery from disorders of consciousness: mechanisms, prognosis and emerging therapies. Nat Rev Neurol. Mar 2021;17(3):135-156. doi:10.1038/s41582-020-00428-x

2. Achard S, Delon-Martin C, Vertes PE, et al. Hubs of brain functional networks are radically reorganized in comatose patients. Proc Natl Acad Sci U S A. Dec 2012; 109(50):20608-13. doi:10.1073/pnas.1208933109

3. Oujamaa L, Delon-Martin C, Jaroszynski C, et al. Functional hub disruption emphasizes consciousness recovery in severe traumatic brain injury. Brain Commun. 2023; https://doi.org/10.1093/braincomms/fcad319
4.  Edlow BL, Massimini M, Scientific commentary : Are disorders of consciousness disconnection or dysconnection syndromes? Brain Communications, https://doi.org/10.1093/braincomms/fcad328

Laboratoire

Laboratoire Jean Kuntzmann - Université Grenoble Alpes, CNRS, Inria - 38000, Grenoble

Contact

Sophie Achard
Statistiques appliquées aux neurosciences