Rio 2018 : Portrait de Laurent Fargues, conférencier invité
Interview de Laurent Fargues, directeur de recherche au CNRS, conférencier dans les sections "Théorie des nombres" et "Géométries algébrique et complexe".
Quel est votre domaine de recherche ?
La géométrie arithmétique. Plus précisément la théorie de Hodge p-adique, le programme de Langlands et toute la géométrie qui tourne autour du programme de Langlands. La théorie de Hodge p-adique est un domaine initié par un résultat de John Tate dans les années 60 et des questions de Grothendieck (à l’ICM 1970 à Nice) sur les périodes p-adiques des variétés abéliennes (une version p-adique des périodes complexes de Griffiths). Elle a été grandement développée depuis la fin des années 70 par Jean-Marc Fontaine qui a introduit et démontré la plupart des résultats fondamentaux la concernant. Le programme de Langlands est au cœur de l’arithmétique moderne depuis son introduction par Langlands dans les années 60, cela concerne des objets (les représentations automorphes) qui généralisent les formes modulaires, introduites à la fin du 19ème siècle, à des groupes de symétrie supérieurs (le cas des formes modulaires concernant le groupe GL_2). Ces deux domaines ont déjà interagis précédemment, par exemple la preuve de Wiles / Taylor-Wiles de la conjecture de Shimura-Taniyama-Weil (qui implique le théorème de Fermat) utilise de façon fondamentale l’arithmétique des représentations Galoisiennes p-adiques et les objets introduits par Fontaine. Il en est de même de la preuve de la conjecture de Sato-Tate. Plus récemment, dans un travail commun avec Fontaine, on a découvert et étudié un objet que l’on appelle "la courbe" qui nous a permis de repenser complètement le domaine de manière plus géométrique.
Cet objet partage des propriétés très similaires à celles des surfaces de Riemann compactes. En particulier on peut étudier les fibrés vectoriels dessus et leur semi-stabilité dans l’esprit des travaux de Narasimhan-Seshadri et plus généralement d’Atiyah-Bott. En parallèle se sont développés les travaux de Peter Scholze sur les espaces perfectoïdes et les deux approches ont fusionné. Plus récemment encore j’ai réussi à formuler une conjecture qui permet de géométriser le programme de Langlands local dans l’esprit de l’école Russe autour de Vladimir Drinfeld (qui concerne les corps de fonction des courbes algébriques sur les corps finis) pour les corps p-adiques. Cela permet de rapprocher complètement le programme de Langlands et la théorie de Hodge p-adique. Je travaille actuellement en collaboration avec Peter Scholze sur ce nouveau domaine, en particulier sur son projet de construction de L-paramètres à la Vincent Lafforgue (qui concerne le cas des corps de fonctions d’un courbe sur un corps fini) dans le cadre de ce nouveau programme sur un corps p-adique.
Savez-vous déjà ce que vous allez raconter à l’ICM à Rio ?
Je vais parler de mes travaux en théorie de Hodge p-adique entamés avec Jean-Marc Fontaine sur "la courbe" jusqu’à aboutir à ma conjecture de géométrisation de la correspondance de Langlands locale en conclusion.
Qu’est ce que ce congrès représente pour vous ?
Bien sûr cela fait plaisir d’être invité à ce congrès, il s’agit d’une étape importante dans ma carrière de chercheur. Ceci dit le court exposé de 45 minutes que je vais donner restera assez superficiel et il est peu probable qu’il y ait grand monde pour y assister (le domaine dans lequel je travaille n’est pas du tout représenté en Amérique du Sud où personne ne travaille là-dessus). Malgré tout, j’ai apporté un soin particulier à mon article pour les actes du congrès. Ces actes représentent pour moi l’intérêt principal de ce congrès. Lorsqu’ils sont bien écrits et pensés ces articles pour le congrès représentent des jalons qui peuvent rester une référence de nombreuses années après.

(IMJ-PRG - CNRS, Université Paris Diderot, Sorbonne Université).