Transmission virale dans des foules : des simulations microscopiques aux cas pratiques

Actualités scientifiques

Des chercheurs CNRS de l'Institut Montpelliérain Alexander Grothendieck et de l'Institut Lumière Matière ont montré comment franchir les échelles pour passer, de manière particulièrement efficace, de simulations microscopiques de dynamique des fluides, coûteuses en temps de calcul, à des études macroscopiques de transmission virale aéroportée au sein de foules. Cela ouvre la voie à des évaluations accessibles des risques de contagion par exposition directe dans des scénarios réalistes très variés. Leurs travaux ont été publiés dans la revue Advanced Science.

Dans les premiers temps de l’épidémie de COVID-19, on a vu fleurir des études aux hypothèses contestables car s’appuyant sur des modèles trop grossiers de transmission virale. À l’inverse, des modèles très fins, basés sur la résolution des équations de Navier-Stokes qui régissent le mouvement des fluides, simulent de manière sophistiquée la propagation des gouttelettes de fluide respiratoire dans l’air. Ces modèles offrent davantage de réalisme, mais butent sur la complexité de l'analyse des données produites (que faire de ces milliers de trajectoires finement résolues, variant à chaque micro-changement ?), et surtout sur leur temps de calcul prohibitif, chaque réalisation pouvant nécessiter des jours de calcul sur des supercalculateurs.

Une "carte des risques" à l'efficacité limitée

Pour tirer le meilleur parti des deux types d’approches, une idée consiste à utiliser des simulations fines de dynamique des fluides, résolues microscopiquement, et d’en déduire la carte dynamique des risques autour d’un émetteur, quantifiant localement la probabilité de présence d’aérosols infectieux. Sauf qu’une carte unique n’est en aucun cas suffisante, car la "carte des risques" ainsi obtenue varie selon que la personne est en train de parler ou non, de marcher ou non, selon le vent ou les courants d’air, etc. Il faut donc constituer une bibliothèque de situations de référence et, pour les valeurs de paramètres non simulés, interpoler les résultats de ces situations de référence.

Voilà ce à quoi les chercheurs se sont attelés avec, pour récompense des efforts déployés, quelques messages marquants simples, au-delà de l’aspect technique de la méthode. En particulier, le moindre vent présent réduit drastiquement les risques de transmission virale. Cela vient clore un débat entamé au début de la pandémie, où l'on se demandait si le vent favorisait les contaminations en portant plus loin les gouttelettes et aérosols ou si, à l’inverse, il les inhibait en dispersant ceux-ci : Dans les situations en extérieur qui présentent des risques sensibles, c’est le second effet qui l’emporte.

Le rôle majeur de la densité et de l'activité expiratoire

Plus généralement, l’importante réduction du coût numérique grâce à ce passage à des “cartes dynamiques de risques” a rendu possible l'étude de situations concrètes pouvant impliquer des centaines de personnes. Pour ce faire, les chercheurs ont arpenté les rues de Lyon pendant la pandémie et filmé les gens du dessus pour le respect de leur anonymat, dans divers lieux fréquentés de la métropole lyonnaise, à l’extérieur ou en milieu intérieur peu confiné (vaste et bien aéré). Parmi ceux-ci figurent une gare SNCF, une station de métro, des rues passantes, un marché de plein air, des terrasses de café, et une berge aménagée du Rhône. De ces vidéos ont été extraites les trajectoires et orientations des têtes des piétons ; ces données ont été couplées aux cartes de risques précalculées. Bilan de l'analyse : les rues passantes (qui n’étaient pas bondées dans la période considérée) présentent un risque très faible en comparaison du marché en plein air, beaucoup plus denses. Comme on pouvait s'y attendre, la densité joue bien un rôle majeur. Néanmoins, toutes ces situations avec des foules passantes présentent moins de risques de nouvelles contaminations que les terrasses de café, où les gens partagent des contacts proches et prolongés, quand bien même la densité globale y est plus faible. Enfin, l’activité expiratoire a un rôle majeur, dans la mesure où les émissions de gouttelettes respiratoires par une personne en train de parler sont bien plus élevées que si cette personne est en train de respirer par la bouche (et, a fortiori, par le nez).

Cette hiérarchisation de scénarios concrets à partir de modèles théorico-numériques illustre comment la modélisation peut exploiter des simulations de haute fidélité pour examiner des situations de la vie courante et servir d'aide à la décision en santé publique. L'outil de modélisation joue alors le rôle précieux de passerelle entre les connaissances fondamentales sur la propagation virale aéroportée et les mesures sanitaires à mettre en place.

Cette collaboration a été initiée grâce au groupe de travail de la plateforme MODCOV19 de l’INSMI.

Schéma de la transmission virale
Figure représentant la démarche de modélisation : la simulation fine de l’air exhalé par un passant (mannequin à gauche) est utilisée pour construire des cartes de risques (en bas, échelle blanc-rouge) autour du passant contagieux. Les autres passants présents cumulent un risque de contamination en fonction de leur position sur la carte des risques et du temps.

© Baptiste FRAY, Willy GARCIA, Simon MENDEZ, Alexandre NICOLAS / CNRS

 

Contact

Simon Mendez
Chargé de recherche au CNRS (IMAG, CNRS et Univ. Montpellier)

Laboratoires