Coopération France-Vietnam : nouvel élan pour l’IRL FVMA

J'ai découvert le Vietnam en 2018, en donnant un cours sur les chaînes de Markov au Master France-Vietnam de mathématiques appliquées, à Ho Chi Minh City. J'avais alors perçu la magie des rues vietnamiennes, l'atmosphère inspirante des universités, que déjà je repartais par le vol du soir, survolant les toits de cette ville énergisante, qui ne dort jamais. C'est à cette occasion que j'ai rencontré Viet Hung Hoang, qui en 2019 est venu en Europe effectuer sa thèse, en cotutelle entre l'Université de Tours et l'Université de Münster, en Allemagne. Cette rencontre humaine et scientifique a mené à une amitié et une collaboration continues, un exemple parmi d'autres de coopération entre nos deux pays ; maintenant Viet Hung Hoang a un poste de "lecturer" à l'Industrial University de Ho Chi Minh City.

En 2024, les conditions familiales étaient réunies pour effectuer un séjour de six mois au Vietnam, notamment grâce à mon épouse, enseignante, qui a pu travailler à mi-temps annualisé. Atterrir au Vietnam, cette fois à Hanoï, est un dépaysement total. On sort de l'avion et on est immédiatement enveloppé par un air chaud et humide ; dans le taxi on découvre une densité de végétation extraordinaire, on devine un pays qui se développe à une allure exponentielle.

Pendant ces quelques mois d'affiliation au laboratoire France-Vietnam, j'ai travaillé principalement au VIASM, qui est une structure fédératrice de la recherche mathématique au Vietnam. C'est un bâtiment récent, pas loin du temple de la littérature et du mausolée d'Ho Chi Minh. L'amphithéâtre moderne Laurent Schwartz accueille les très nombreux évènements qui jalonnent la vie scientifique au VIASM. J'ai été merveilleusement accueilli par plusieurs collègues, dont Le Minh Ha, le directeur adjoint du VIASM (le directeur n'est autre que Ngô Bảo Châu, médaillé fields 2010 !) et Ngo Hoang Long, collègue probabiliste très actif de la Hanoï National University of Education. Le laboratoire international France-Vietnam est aussi lié à la VAST, l'académie des sciences et technologies du Vietnam. À l'inverse du VIASM, la VAST se trouve sur un campus universitaire, avec plusieurs équipes de recherche de premier plan, par exemple en probabilités (ma thématique de recherche). Un des temps forts de mon séjour a été l'organisation d'une école d'hiver "Representation Theory and Combinatorics Tools in the Study of Some Probabilistic Models". Une soixantaine de participantes et participants vietnamiens et internationaux ont suivi les cours et les exposés, avec une parité France-Vietnam parmi les intervenants. Vers la fin de mon séjour, j'ai été invité à donner plusieurs exposés de recherche, notamment à Ho Chi Minh City et à Da Nang, dans le centre Vietnam.

Côté famille, nous avions décidé de profiter pleinement de l'expérience en évitant le quartier des expatriés d'Hanoï, mais en posant plutôt nos valises dans le quartier Long Bien. "Long Bien" signifie la frontière du dragon, en d'autres termes de l'autre côté du fleuve rouge, qui coule à travers Hanoï. Tous les jours, passager d'un moto-taxi, je traversais le fleuve rouge sur un pont chargé d'histoire, le pont Long Bien, inauguré en 1903. Voyager au Vietnam est aussi un voyage dans le temps, une plongée nécessaire dans la colonisation française de l'Indochine et ses nombreux témoignages historiques à Hanoï, comme la prison centrale, l'opéra de Hanoï ou encore la cathédrale Saint-Joseph. Également chargé d'histoire, le train dit de la réunification relie le Sud (Ho Chi Minh City) au Nord (Hanoï) ; j'ai eu la chance de l'emprunter entre Da Nang et Hanoï, un voyage lent et inspirant à travers la nature luxuriante. Le lycée français se situe dans le quartier Long Bien ; pour nos trois enfants, cette parenthèse de scolarité expatriée a été une occasion unique de rencontrer des camarades vietnamiens ou internationaux, avec comme dénominateur commun une sensibilité et un intérêt pour la culture française.

Je voudrais terminer ce court témoignage en évoquant quelques souvenirs personnels. Quand on sort du VIASM, on rencontre une multitude de petits restaurants accueillants et typiques. On se faufile à travers les scooters, on traverse une rue puis on pénètre dans un temple bouddhiste du 12è siècle, la pagode de "Chùa Láng". Perdu dans la méditation et la sérénité des lieux, on lève les yeux et les buildings modernes en surplomb nous rappellent qu'on se trouve dans la capitale vietnamienne. C'est un peu cela mon expérience vietnamienne, une surprise à chaque rue, une invitation à la flexibilité de l'esprit. Cette poésie de la vie quotidienne s'est naturellement retrouvée dans ma recherche et dans les collaborations variées que j'ai nouées avec les collègues vietnamiens. Je garde aussi un vif souvenir des pauses de midi à la VAST : après un déjeuner délicieux dans la cantine locale (pour 40,000VND, soit moins de 2EUR), nous commencions des parties endiablées de tennis de table, nous assistions alors transpirants à un exposé de recherche, dans une ambiance immédiatement redevenue studieuse.  

Ce séjour aura donc été extrêmement enrichissant et tourné vers l'avenir : ce mois de septembre 2025, j'accueillerai à l'Université de Tours Ngo Hoang Long, puis en juin 2026 mon ancien étudiant Viet Hung Hoang. En 2027, je co-organiserai à Hanoï une école satellite du congrès mondial de physique mathématique, portant sur des aspects probabilistes de la physique mathématique. Je souhaite sincèrement avoir une occasion future d'effectuer un deuxième séjour long au Vietnam !

J'adresse mes sincères remerciements au CNRS, en particulier à l'Insmi et à l'IRL France-Vietnam, pour le soutien administratif et humain tout au long du séjour et de sa préparation ; je remercie également toute l'équipe administrative du VIASM pour sa disponibilité et son efficacité.

Pour moi, cette responsabilité consiste à maintenir et à développer le laboratoire. C’est une mission exigeante, qui représente à la fois des opportunités et des difficultés. La première opportunité réside dans les affinités naturelles : la France et le Vietnam partagent une longue tradition mathématique, et dans les deux pays, les mathématiques sont profondément respectées et valorisées. La deuxième opportunité vient de la coopération privilégiée entre les communautés mathématiques française et vietnamienne. La plupart des grands mathématiciens vietnamiens ont collaboré avec la France. De ces collaborations sont nés le programme PICS, le LIA ForMath, puis en 2023 l’IRL FVMA, forme de coopération la plus avancée du CNRS.

Mais les défis sont aussi nombreux : beaucoup de jeunes talents choisissent d’autres voies, soit en quittant la recherche mathématique, soit en poursuivant leur carrière à l’étranger. Pour répondre à ces défis, nous devons mobiliser pleinement nos atouts.

D’abord, le VIASM élargit sans cesse ses activités, en attirant un nombre croissant de chercheurs internationaux. Ensuite, l’Institut de Mathématiques à la VAST renforce ses programmes de coopération régionale, notamment à travers le Centre de Mathématiques UNESCO ; par ailleurs, l’Université des sciences et des technologies de Hanoï a ouvert une licence en mathématiques appliquées et lancera cette année un master de mathématiques. En même temps, les mathématiques ont toujours été une discipline scientifique importante, mais elles démontrent encore davantage, à l’époque actuelle, leur rôle et leurs applications dans d’autres domaines de recherche de pointe.

Je souhaite que les programmes de l’IRL FVMA s’adressent non seulement aux chercheuses et chercheurs des instituts mais aussi aux enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs des universités, afin d’élargir les opportunités de coopération. Je souhaite également que nous considérions la collaboration avec d’autres institutions non pas comme une concurrence, mais comme un compagnonnage, qui enrichira nos activités et favorisera la mise en place de nouvelles coopérations.